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Plaidoyer pour une formation des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
Jean-Paul Abribat, Jean-Yves Casaux et Eliane Mercier
  Bordeaux, 1993: Plaidoyer pour une formation des infirmiers en psychiatrie et en sante mentale
 

Plaidoyer pour une formation des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale

Initiative de Jean-Paul Abribat, Jean-Yves Casaux et Eliane Mercier.

Quoi qu’on pense de la réforme des études, des exigences demeurent quant à la compétence requise pour travailler auprès de personnes nécessitant des soins relevant de la santé mentale. Et ces exigences concernent la formation initiale des infirmiers, sans préjuger d'une nécessité d'approfondir ces orientations dans le cadre d'une formation continue.

La formation initiale actuelle pose la psychiatrie comme un apport optionnel; elle élude donc, d'entrée, qu'il s'agit de mettre au centre le fait psychiatrique dans toutes ses dimensions. Il s'agit de comprendre que ce fait est saisissable d'abord dans le champ des soignants: au niveau du quotidien, du journalier, du banal et du bénin de leur travail.

Depuis la circulaire du 15 mars 1960, la pratique infirmière a largement participé à la politique de secteur, notamment pour réduire les effets iatrogènes de l'hospitalocentrisme. Actuellement, le volontarisme affiché en matière de modernisation du dispositif de soins en santé mentale trouve une traduction très claire dans les orientations de la circulaire du 14 mars 1990. C'est le centre médico-psychologique qui est le pivot du dispositif d'un secteur. Ces orientations délimitent le cadre des évolutions concernant le champ professionnel infirmier. Leur traduction dans le réel suppose que le personnel soignant, en particulier les infirmiers, en soit l'artisan au quotidien notamment pour:

  • participer à la diversification des pôles d'activités sans que cette diversification entraîne cloisonnement et étanchéité pour les patients comme pour le personnel ;

  • garantir la continuité des soins en assurant la permanence et la cohérence des prestations dans la double dimension d'un accompagnement clinique et social, respectant la spécificité de l'un et de l'autre et visant à les articuler.

Relativement aux contenus de formation, une formation en soins psychiatriques ne peut faire l'impasse sur sa position épistémologique à propos de la maladie mentale et du statut du Sujet. Ceci veut dire : - que l'abord du symptôme doit être envisagé dans la spécificité qu’il a dans le champ psychiatrique; - que l'abord de la situation de soins ne peut se faire sans son appréhension dans le champ social qui détermine, d'une certaine manière, le soignant et le soigné comme des acteurs sociaux.

Relativement aux démarches formatives, il faut que la formation prenne en compte et indue dans son processus la question des obstacles à l'appropriation des connaissances et au changement.

1.Eugène Enriquez- la Formation permanente. préface. Encyclopedie du savoir moderne. 1975. p. 16. D'où une logique pédagogique qu'il ne faut centrer ni sur l'objet de connaissance en soi ni sur la seule affectivité du sujet, mais bien -sur des situations concrètes mettant en œuvre l'individu réel, avec son inconscient, ses projets, ses attaches sociales, son statut, son rapport aux autres, au groupe et à son travail, ainsi qu'en témoigne Eugène Enriquez.(1) D'où, les réquisits essentiels suivants.
 

FORMER A LA PRATIQUE DU SECTEUR

Il s’agit de travailler sur le sens des soins psychiatriques aussi bien du point de vue de leur évolution que du point de vue de la signification et de la portée que les techniques de soins prennent dans le cadre de leur utilisation. Cela veut dire:

Former à une analyse historico-critique des institutions

Cette dimension de formation parait nécessaire pour mettre en évidence tant l'évolution du rôle de l'infirmier en santé mentale que ses nouvelles fonctions au sein de l'équipe soignante.

 

LA DIMENSION DU RÔLE THÉRAPEUTIQUE
DE L'INFIRMIER SUPPOSE LE DÉVELOPPEMENT DES CONNAISSANCES THÉORIQUES ET TECHNIQUES QUI PEUVENT LUI  PERMETTRE DE DÉPASSER LE RÔLE DE GARDIEN POUR CELUI DE CO-ACTEUR THÉRAPEUTIQUE
Evolution du rôle thérapeutique

La formation doit inclure l'étude des éléments suivants: - La notion de soins curatifs intra-muros s'est élargie, depuis une quarantaine d'années, à celle des soins extra muros pour assurer la continuité des soins dans une aire géo-psychiatrique donnée et favoriser la réhabilitation dans la communauté sociale des personnes malades qui en avaient été exclues.

  • La signification de la mise en place des structures de secteur.

  • La réadaptation mentale est centrée sur les aspects émotionnels, intellectuels et sociaux de la personnalité du malade. Il s'ensuit donc que le rôle thérapeutique ne s'arrête plus au traitement médicamenteux, mais s'élargit à des nouveaux types de thérapeutique sociale.

  • La diversification du rôle des infirmiers au sein des équipes en psychiatrie. Par exemple : rendre compte des nécessités de soins du patient à sa famille, des nécessités de soins du patient et de sa famille aux autres membres de l'équipe soignante. Ainsi, la psychiatrie est amenée à faire entrer la collectivité dans son champ de vision, notamment avec la prise en charge de famines et l'intervention dans la communauté. Dans cette perspective de travail, les infirmiers sont interpellés en tant que système groupal soignant.

Evolution de la fonction infirmière en santé mentale

La dimension du rôle thérapeutique de l'infirmier suppose le développement des connaissances théoriques et des compétences techniques qui peuvent lui permettre de dépasser le rôle de gardien pour celui de co-acteur thérapeutique; ces connaissances et ces compétences doivent être définies et inscrites dans la formation professionnelle pour être utilisées quotidiennement.

D'où il est requis que les études passent du type traditionnel - apprendre la différence dans une position subordonnée stricte, exécuter des ordres - à l'éducation plus large dont le but est de développer la personnalité, (rapprendre à s'adapter, à communiquer, à résoudre des problèmes dans le cadre de la fonction individuelle et groupale de l'infirmier ; ce qui déborde largement la seule exécution des prescriptions médicales.

Le rôle thérapeutique infirmier suppose donc le déclin de la tendance à considérer les infirmiers comme les -auxiliaires- du médecin et non comme ses partenaires dans le traitement et les soins, de même vis-à-vis du psychologue. Il importe donc que la formation mette l'accent sur la nécessité et le développement du Service de Soins Infirmiers et travaille sur le statut des infirmiers dans l'équipe de soins.

Former à l'analyse des techniques de soins en évitant la technicisation des relations

A partir de l'effacement du rôle de surveillance devant le rôle thérapeutique de l'infirmier, à partir de l'aide aux malades pour rester en contact avec la collectivité, l'environnement humain constitue un facteur essentiel pour une intervention infirmière. On peut affirmer que la compréhension du développement de la personnalité, les significations et les modalités de l'angoisse, les aspects sociologiques des soins psychiatriques, ainsi que la connaissance des méthodes de travail en groupe font partie intégrante de la formation théorique et pratique.

Il s'agit d'étudier les soins infirmiers en santé mentale non du point de vue des taches accomplies, mais des effets de leurs interventions sur la santé des patients : on soigne avec ce que qu’on sait en même temps qu'avec ce que l’on est. D'où la nécessité de formations à dimension personnelle.

L’action pédagogique ne peut se réduire à une formation-information, à une simple transmission de connaissances. Il faut que la formation ait pour objet et support les situations de vie et la pratique professionnelle quotidiennes. D s'agira donc d'étudier les différentes techniques de soins et leur mise en place strictement dans leur rapport aux problématiques relationnelles quelles sont censées contribuer à résoudre, aussi bien en direction des soignés (modalités d’encadrement de la vie quotidienne, ateliers thérapeutique... ) qu'en direction des soignants (réunions cliniques de supervision, de régulation, d'analyse institutionnelle, de synthèse... ) et de l'organisation des relations de vie et de travail (réunions soignants/soignés, dossier de soins, organisation du travail en équipe...).

DÉMARCHES FORMATIVES

 

L'ÉQUIPE DE SOINS
TIENT
ESSENTIELLEMENT
SA QUALITÉ
THÉRAPEUTIQUE
DE PENSER SA
PRATIQUE
Elles doivent se servir de l'étude des situations de soins pour aborder la question du (des) symptôme(s) articulée aux actes soignants dans les dimensions de l'angoisse et du transfert.

En effet, il n'y a pas de soins sans situations de soins. Celles-ci sont le fruit d'une construction dont le soignant est à la fois l'auteur et le participant, autour d'une problématique de soins. Ceci implique de développer l'aptitude à:

  • reconnaître les éléments qui constituent une situation de soins, les analyser, les théoriser;

  • utiliser le potentiel thérapeutique propre à chaque situation, de sorte que le soignant s'approprie à la fois la signification et le repérage nécessaire des obscurités de la situation.

C'est ce processus qui produit un acte soignant susceptible d'être repris par le soigné dans la mesure où il inscrit la relation soignant/soigné dans la perspective de l'angoisse et du transfert, donnant ainsi sens aux multiples situations quotidiennes (exemple : le repas thérapeutique, telle ou telle situation d'atelier... ).

D'où la nécessité de:

Se former au repérage des constituants de la situation de soins

Ces constituants sont: le patient, le soignant, tout ce qui est objet de l'environnement des deux partenaires (cadres, règlements ... ) et le rapport de chacun à cette situation et à sa propre histoire.

Former à la construction et appropriation d'outils théoriques

Il s'agit de le faire toujours en relation avec les situations de soins. A partir d'une situation de soins (dès l'accueil), I'infirmier se donne pour tâche de faire des liens entre les éléments de l'histoire du patient et ceux des données qui concernent son rapport à la vie et aux autres, lesquels apparaissent fréquemment hétéroclites ou contradictoires. Ce travail de mise en sens ne peut se faire qu'en référence à des outils théoriques qui le permettent.

De même que la théorie intervient en tiers entre le patient et l'infirmier soignant, de même l'équipe joue un rôle de fiers dans la relation de soins. L'équipe de soins tient essentiellement sa qualité thérapeutique de penser sa pratique: cette notion d'équipe pensante- est au fondement des soins.

Ouvrir à la dimension du sujet

Il faut ouvrir à la dimension du sujet (pour ce qui est du soignant, pour ce qui est du soigné) dans la double dimension du socius (l'acteur social dans la multiplicité de ses réseaux) et au sujet de l'inconscient.

Le sujet de l'inconscient

Il nous paraît que cette dimension clinique des soins se constitue autour de la problématique de la relation d'objet. Ceci dans la mesure où le sujet ne se constitue que dans l'activité de construction d'images, conscientes et inconscientes, de soi au travers d'identifications diverses et de pertes de ces identifications successives, c'est-à-dire de séparations d'avec des images de soi, que ces dernières cent en direction de soi-même ou bien en direction d'autrui.

La difficulté de tout individu et évidemment, du patient à entrer dans cette problématique du sujet se caractérise par une relation oscillant de la fusion avec l'autre à la négation de l'autre.

De sorte que les situations relationnelles, dans leur visée thérapeutique sont à comprendre comme devant créer un espace de jeu et de -transitionnalité. où il s'agit pour la personne soignée de se recréer une histoire individuelle, et pour le soignant de travailler sur la rupture des illusions (illusion d'une compréhension immédiate, d'une communication transparente, comme a contrario, d'une opacité impénétrable) qui peuvent être les siennes en tant qu'elles tiennent aux relations contre-transférenfielles qu'il développe au sein des différentes situations de soins. E a à ne pas rester dupe des identifications qui, provisoirement, peuvent avoir eu pour fonction de mobiliser la capacité de changement du patient. Ainsi, par exemple, les soignants sont-ils interpellés sans cesse par la personne malade dans une illusoire fonction soignante réparatrice, s'apparentant à une image de toute-puissance maternelle.

Le dépassement de cette relation ne peut être réalisé que par le travail de constitution d'un autre objet, un objet symbolique qui vient en tiers entre soi-même et l'autre, entre soi et soi-même. Il parait alors essentiel d'étudier les objets faisant tiers dans les relations de soins, permettant ainsi une médiation des transferts : le langage, la théorisation, l'équipe soignante, les cadres thérapeutiques institués, les projets thérapeutiques.

Le socius (2)

 

2 - Socius : l’Homme en temps qu’être social Le comportement du malade n'est pas seulement envisagé du point vue de la vie intérieure, mais aussi sous l'angle des rapports interpersonnels.
 

L’état de santé d'un individu n'a son plein sens que si l'on prend en considération ce facteur, c’est à dire le milieu social et culturel : celui d’origine aussi bien que celui où plonge le malade lorsqu'il devient patient. De ce point de vue, l'infirmier appartient aussi à un certain milieu et fait lui-même environnement social et culturel pour le patient. La culture délimite et structure l'espace, et ceci est vrai tant pour le patient que pour le soignant, à la différence que le soignant n'a pas la même position que le patient quant aux soins, leur responsabilité et leur conduite, et qu'il doit donc, pour cela, pouvoir observer et comprendre les comportements de ce qui les détermine.

Ceci amène à aborder la position de l'infirmier dans sa pratique des soins comme pratique sociale sous deux angles : sa position institutionnelle et sa position socioculturelle. L'infirmier peut, en effet être influencé de différentes façons par les attitudes prédominantes de la société où il travaille, de même que les attitudes de l'infirmier ont aussi de grandes chances de se ressentir des préjugés

 

3 - Madeleine Leininger. Modification des centres d'interêt dans l'enseignement des soins infirmiers : soins infirmiers primaires et transculturels. Conseil lnternational des Infirmiers 16° Congrès quadriennal, Tokyo. 2 juin 1977 . p. 6-7 Par ailleurs, peut-on envisager de soigner l'individu si l'on ignore ce que représentent pour lui la santé, la maladie et les soins ? La santé est grandement déterminée par les valeurs dont la culture est l'expression et le véhicule.

Les soins de santé ne sauraient être moins concernés par ces phénomènes que la santé elle-même.Il s’agit donc d'identifier " quels sont les aspects culturels universels et non universels des soins infirmiers et des comportements et pratiques de cultures différentes " (3)

"Manifeste pour des réquisits de fonution des infirmiers en Psychiatrie et en Santé Mentale ", présenté par le Collectif National de mobilisation en Psychiatrie, la Coordination Nationale infirmière (Psychiatrie) et le Comité d'Entente des Fomations Infrmières en Santé Mentale (CEFISM), à Bordeaux le 13 février 1993

 

A partir de là, la formation d'un tel soignant ne peut être seulement transculturelle mais surtout métacultureue, c'est-à-dire interrogeant les valeurs respectives des cultures ou des systèmes culturels.

SOINS FORMATION - PÉDAGOGIE - ENCADREMENT - N' 5 - 1° TRIMESTRE 1993

 

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Initiative:    Le groupe de réflexion bordelais
Le collectif National de mobilisation en psychiatrie (CNMP)
Le Centre d'étude des formations infirmières et des pratiques en psychiatrie (CEFI-PSY)