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ROUEN le 19/11/1994
Maladie mentale, handicap mental
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Questionnements a propos des soins en gériatrie
Katia BAYEUX
  Questionnements à propos des soins en gériatrie

Questionnements à propos des soins en gériatrie

Katia BAYEUX

C'est un fait d'observation courante : nous ne vieillissons pas de la même manière les uns et les autres. Les réponses de chacun à l'épreuve du temps qui passe sont fonction de l'économie libidinale de chaque sujet, c'est-à-dire de ce qu'on appelle la personnalité.

Les sociétés, quant à elles, ont des représentations, un discours sur la vieillesse entraînant des pratiques, des comportements particuliers envers les sujets âgés. C'est un lieu commun que de dire que notre société magnifie la jeunesse, la beauté, la productivité et que le sujet âgé y est peu valorisé ; notre culture pétrie de valeurs puisées dans la nationalité véhicule même actuellement un discours singulier sur la vieillesse : voilà que vieillir devient synonyme d'handicapé, nous ne vieillissons plus, nous devenons handicapé ! Ces propos m'interrogent particulièrement dans la mesure où je travaille à la fois dans un service de Médecine Gériatrique mais aussi dans un établissement accueillant des enfants qui ont un handicap moteur.

Rappelons dans un premier temps la définition du mot handicapé selon l'O.M.S. (Organisation Mondiale de la Santé).

"Un handicapé est un sujet dont l'intégrité physique ou mentale est passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit du fait de l'âge, d'une maladie ou d'un accident, en sorte que son autonomie, son aptitude à fréquenter l'école ou occuper un emploi s'en trouvent compromises".

Autre citation maintenant relevée dans le dictionnaire Larousse Théma Encyclopédie, toujours à propos du handicap "il convient de considérer d'abord les handicaps physiques [-.], Viennent ensuite les handicaps de l'ouie, de la vue [... ] enfin les handicaps mentaux psychoaffectifs [... ] A ces trois catégories, il est souhaitable d'en ajouter d'autres. Celles des maladies chroniques (épilepsie, nanisme, etc.), des difficultés psychomotrices (maladresse, dyslexie, etc.) ou des inadaptations socioculturelles qui insuffisamment prises en considération peuvent évoluer jusqu'au handicap".

D'après cette définition rare, sans doute en effet, sont ceux qui échappent à cette proposition identificatoire : être handicapé. Ce discours là n'est pas sans effet, sans répercussion sur les pratiques de soins en gériatrie qui sont misent en avant car nous dit toujours le Larousse "pour ce faire et lui permettre d'accéder à un processus de normalisation, la médecine dispose de programmes d'évaluations fiables". C'est bien souvent, en effet, un programme d'évaluation et de rééducation qui est proposé au sujet âgé en ce qui concerne le corps niais aussi en ce qui concerne l'appareil psychique ; la perte de mémoire évaluée, mesurée par des tests, serait rééduquée par un entraînement mnésique, des séances d'exercices de mémoire. Ces pratiques soutiennent une certaine conception de l'humain et du psychisme, conception mécaniciste : une fonction fait défaut, elle est rééduquée, supplée. La prise en compte du sujet est absente dans cette conception où le handicap définit l'identité de la personne. Mr, Mme X, est handicapé, alors qu'il conviendrait plutôt de dire Mr, Mme X, ont tel ou tel handicap. En effet, il ne s'agit pas de combler un manque mais d'aider un sujet avec sa structure, son histoire singulière qui à un moment de son existence subit une perte et cette perte va réactualiser un vécu différent selon sa structure. Aurions-nous oublié l'apport Freudien, la découverte de l'inconscient comme cause des comportements du symptôme et des formations de l'inconscient (rêve, lapsus, mot d'esprit) ? Pourtant, le temps de la vieillesse est propice au retour du refoulé dans la démence, ce retour est même spectaculaire du fait, semble-t-il, de la levée, de la censure, du moins de son affaiblissement. Comme dans le rêve, le sujet souffrant d'un syndrome démentiel livre dans ses paroles et dans ces actes les contenus de l'inconscient, et ce qui fait retour a trait à l'infantile au sexuel, à l'agressivité, à la mort, c'est d'ailleurs tout ce que nous répugnons à entendre où dont nous rions si rien dans notre formation ne nous y a préparé-

Ce qui se révèle lors du vieillissement, c'est la question de la finitude, de la mort : celle des proches dont le travail psychique de deuil est nécessaire mais celle aussi du sujet lui-même. Les symptômes relatifs aux effets de l'âge, la fatigue, la baisse des performances, baisse de la force musculaire, lenteur, perte de la mémoire immédiate, entraînent un sentiment de limite souvent cruellement ressenti par le sujet âgé ; la problématique de deuil prend ici un caractère particulier puisqu'il s'agit du deuil de soi-même, deuil dont il va être question à travers l'interpellation des identifications du sujet et qui amène une crise.

Les temps de la vieillesse sont à considérer comme des temps où se révèle aussi l'importance dont un sujet redoute et supporte la dépendance, dépendance où il tend à retomber puisqu'il est amené à faire appel aux autres pour l'aider dans son quotidien. Cette dépendance à l'autre n'est pas sans susciter des conflits internes puisqu'elle rappelle la situation infantile où le sujet dépendait de l'autre parental.

Une patiente décompense lors d'une baisse de l'acuité visuelle : crise d'angoisse, impossibilité de rester seule chez elle sans son époux, puis tentative de suicide. La patiente vit dans un sentiment d'insécurité, ne voyant plus très bien, elle doit s'en remettre à l'autre et notamment à des soignants qu'elle fantasme comme plutôt défaillants, malveillants et qui peuvent désormais décider pour elle. L'infirmière lui a-t-elle donné les bons médicaments ?, Ceux qu'elle veut "comme je ne vois plus" me dit-elle "je ne peux pas vérifier". Puis c'est aussi le sens de sa vie qui est en question, vivre sans voir, ce n'est plus vivre ; elle a toujours investi les activités nécessitant l'acuité visuelle : la couture, le jardinage, le ménage, elle doit trouver un autre sens à sa vie.

Au fil des jours, c test aussi le corps qui se modifie : le timbre de la voix, la peau qui se ride et modifie les traits du visage, la chevelure qui devient grise puis blanche. L'image du sujet n'est plus ce qu'elle était, sentiment d'étrangeté, quelque fois le sujet ne se reconnaît plus. Soulignons ici l'importance du rapport du sujet à son image dans le miroir et la problématique narcissique qu'elle implique, comment continuer à aimer cette image ? Nous savons que sans un minimum d'amour envers soi, nul ne peut exister. L'amenuisement des satisfactions narcissiques entraîne aussi une situation de crise, certains réussissent à la résoudre, d'autres sombrent dans la dépression, la démence, dans un repli narcissique abandonnant toute relation objectale évoquant le retour au narcissisme primaire.

Dans la théorie psychanalytique, attitudes et comportements sont des formes de surface commandées par la structure, ce qui fait retour dans la vieillesse est fonction de la structure du sujet. Je parlerais plus particulièrement du sujet névrosé dont la clinique m'est plus familière au Centre Hospitalier de Bois Guillaume. Vous l'avez sans doute tous remarqué déjà, le sujet âgé évoque souvent ses parents et le sujet qui a un syndrome démentiel demande souvent où est maman ? papa ? Chez le névrosé, un retour des conflits œdipiens est repérable ainsi qu'un renversement œdipien dans les relations parents - enfants. D'ailleurs, ne dit-on pas que les enfants deviennent les parents de leurs parents ! Temps propice au retour du refoulé, la vieillesse témoigne de la réactualisation des conflits œdipiens, ils mettent en lumière les attachements névrotiques aux parents et à ceux qui les représentent, très souvent ce sont les enfants du sujet âgé qui viennent se trouver à cette place. Les erreurs dans les prénoms témoignent de ce retour du refoulé, une patiente croit reconnaître dans la personne de son fils, son mari puis son père, un patient donne à sa fille le nom de sa mère ; ces substitutions souvent attribuées à la démence sénile, nous, nous y lisons le retour du refoulé, le retour de l'amour œdipien. Les affects plus archaïques font jour aussi, tels la haine, l'envie laissant entrevoir subrepticement l'enfant que fut le vieillard, haine fraternelle, reliquats des premières relations objectales à la mère, tous les affects constitutifs de ce que la psychanalyse a appelé la demande.

Enfin, réactivation aussi de l'angoisse de castration. Dans la vieillesse qui ne cesse d'avancer, le sujet retrouve la problématique de la castration du fait de la perte de la puissance et particulièrement quand le déficit concerne une fonction qui permettait au sujet d'éprouver un sentiment de puissance. L'altération signifie le retour d'une menace, ce peut être la force sexuelle mais Eros n'est pas que génital, d'autres lieux du corps témoignent d'investissements pulsionnels. Tout organe dont la fonction en vient à être perturbée, peut rappeler la défaillance, le retour de l'impuissance de l'enfance incontinence urétrale, sphinctérienne, baisse des sens, maladies etc... Toute défaillance annonce et rappelle la menace symbolique de la castration, toutes ces menaces diffuses et défaillances réelles appellent au retour du refoulé qui plonge le sujet dans des crises d'angoisse, livrée à elle-même dans une cruelle solitude, les vieilles personnes font face comme elles le peuvent aux demandes et aux désirs chancelants qui leur restent. Lors de ces moments d'angoisse, c'est aussi notre parole de soignant qui vient soutenir le sujet dans sa lutte pour l'existence. Ceci pour souligner l'importance de la relation et de la reconnaissance du travail de la parole et de ses effets structurants. Car si le biologique est soumis aux besoins, la dimension relationnelle met en lumière l'importance de la demande et du désir, le discours médical sur le handicap axe sur la satisfaction des besoins : nourriture dite équilibrée, hygiène, soins médicaux, une telle optique entraîne des pratiques où la question de la demande et du désir à peu de place. Refuser un tel schéma n'est pas facile ; de plus, il est inhabituel, cela exige une réflexion et une formation constante.

Privilégier la dimension de la demande implique la sauvegarde d'un espace relationnel stimulant dans la prise en charge du sujet âgé. Si cet espace n'est pas perçu par le sujet comme trop menacent, l'envie de parler peut advenir. C'est le manque d'échange qui vient tarir souvent la source de l'activité symbolique et incite le sujet au repli sur soi.

Un dernier cas clinique pour illustrer l'importance de ce travail d'écoute et de parole auprès du sujet âgé.

Il s'agit d'Adrienne, 82 ans, patiente rencontrée en consultation pour syndrome dépressif. Cette femme veuve, sans enfant, vivait depuis quelques mois en maison de Retraite médicalisée après avoir été hospitalisée. "Pendant mon hospitalisation" disait-elle "ils m'ont tout pris" ("ils" étant ses neveux et nièces), "ils ont cru que j'allais mourir". Cette patiente avait été, en effet, très mal en point après le décès d'une nièce à laquelle elle était fortement attachée et qui prenait soin d'elle au quotidien. Amaigrie, triste, puis confuse, elle avait été hospitalisée puis placée donc. Chaque jour, elle se plaignait de sa famille, "ils ne s'intéressent qu'à mon argent...", "ils ont ramassé tout" et elle énumérait les meubles et objets subtilisés : miroir de sa mère, sa vaisselle, ses draps, son balai ! Cette famille venait régulièrement rendre visite à la vieille daine et gérait la modique somme qui lui restait après le règlement de la Maison de Retraite cela, la patiente s'en plaignait aussi ! "Quand je dis que j'ai besoin de quelque chose dentifrice, savonnette, elle oublie pas de me le faire payer... Je veux mon argent" se lamentait Adrienne. Voilà donc que l'équipe indignée par l'affaire prend aux mots les dires de la patiente et met en demeure la famille de ne plus gérer l'argent de la vieille dame. La famille s'indigne à son tour, un conflit éclate, entraînant l'espacement de leurs visites. Cela, la patiente ne le supporta pas, elle sombra dans la tristesse puis dans la démence. Ils ne venaient plus, elle n'existait donc plus. Quand ils venaient pour son argent, cela témoignait au moins queue avait encore quelque chose, et quelque chose d'enviable, d'ailleurs ce rapport à l'autre et à l'argent avait toujours été le sien, c'était son choix au sens du choix de destinée selon Freud. Que demandait Adrienne ? Que nous révélait-elle par sa plainte concernant l'autre ? La réalité d'un abus familial ou plutôt de la réalité de son fantasme inconscient qui déterminait ce lien névrotique qu'elle tissait dans sa relation aux proches ? "J'en perds la tête, c'est pas difficile" m'a dit Adrienne dans les derniers entretiens, "ma nièce est arrivée comme une bombe, elle a dit ton argent je ne te l'aurais pas mangé !... quand j'ai vu ça, j'ai cédé" mais la décision institutionnelle était prise et il n'y a pas eu de retour en arrière...

Le lien affectif névrotique à l'autre déployait bien pourtant là, toute la logique de son fantasme hystérique : elle ne pouvait être que la victime malheureuse insatisfaite et les proches qu'elle aimait, remplissaient pour elle ce rôle de l'autre insatisfaisant.

Katia BAYEUX.

 

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Initiative:    Le groupe de réflexion bordelais
Le collectif National de mobilisation en psychiatrie (CNMP)
Le Centre d'étude des formations infirmières et des pratiques en psychiatrie (CEFI-PSY)