Paris, 1993: Nicole Dazet: Pédiatrie, pédo-psychiatrie
Dans la nouvelle formation qui amène à un diplôme
unique, comment peut-on poser la question des soins infirmiers en tenant compte de la
spécificité des champs des soins généraux d'une part et psychiatriques dautre
part.
A partir du module pédiatrie-pédopsychiatrie, nous
envisageons de poser la question du soin infirmier dans ces deux champs.
La pédiatrie est une spécialité des soins généraux, la
pédopsychiatrie, une spécialité du champ psychiatrique. Elles concernent toutes deux
l'enfant.
L'infirmier est au cur de ces deux spécialités. Il
a, dans les deux cas, à comprendre ce qui se passe pour l'enfant, à donner des soins, à
accompagner l'enfant malade.
Mais les rapports à la maladie, au patient, sont-ils les
mêmes ? Le sens du symptôme se pose-t-il de la même manière ?
Reprenant la démarche de Winnicott, à partir de son
ouvrage De la pédiatrie à la psychanalyse à l'intitulé significatif,
nous pouvons saisir ce qui serait un travail de médiation cognitive entre des sujets pour
la pratique pédiatrique, c'est-à-dire un travail sur la connaissance du développement
affectif de l'enfant et le retentissement sur la maladie, et envisager la pratique
pédopsychiatrie comme un travail d'étayage du corps psychique c'est-à-dire une
élaboration de situations de soins, du cadre précis des soins pour aider l'enfant à se
" construire ".
"Lorsque je réfléchissais à la relation entre la
pédiatrie et la pédopsychiatrie, il m'apparut que cette relation ne concerne pas
seulement une différence de domaine mais aussi une différence d'attitude émotionnelle
selon qu'on aborde le cas en pédiatrie ou en pédopsychiatrie. Le symptôme représente
pour le pédiatre un défi à son arsenal thérapeutique... Pour le pédopsychiatre, au
contraire, le symptôme représente une organisation extrêmement complexe, apparue et
conservée en raison de sa valeur"'.
Un travail de médiation cognitive
Cette perspective nous invite à partir de la relation de
dépendance initiale pour l'enfant : dépendance relationnelle à la mère qui
déterminera sa sociabilité, ses rapports aux autres.
La relation à l'enfant sera donc à comprendre dans ce
cadre-là et le soignant aura à penser le symptôme présenté par l'enfant comme la
traduction d'une modalité particulière de cette relation. Le symptôme serait alors pour
lui " la possibilité de traduire un accroc dans le développement affectif ".
Par exemple, l'énurésie peut avoir une signification particulière, celle de la
persistance d'une relation infantile qui joue un rôle dans l'équilibre psychosomatique.
Le sens du symptôme
D'où l'importance pour l'infirmière de prendre en compte
le symptôme (le considérer comme un SOS), d'interroger ce que l'enfant exprime à
travers cela, ce qui nécessite une exploration du développement affectif de cet enfant.
Par exemple, pour l'enfant énurétique, l'infirmière aura
à repérer les circonstances de l'énurésie, est-ce en lien avec un moment précis, une
absence ou une présence trop importante de la mère. Le prendre en considération,
c'est-à-dire ne pas l'annuler, ne pas l'exagérer ou ne le considérer qu'à partir d'une
cause somatique, sera important pour l'enfant. Pouvoir en parler avec lui, l'évoquer en
jouant peut l'aider à exprimer une " faille " dans son développement affectif.
Autrement dit, tout soin à un enfant nécessiterait de
partir dune connaissance du développement affectif primaire et d'une compréhension
des manifestations significatives du développement normal.
L'agressivité
Lagressivité est une étape nécessaire dans le
développement de l'enfant. Elle est présente avant l'intégration de la personnalité. A
l'origine, explique Winnicott, elle est synonyme d'activités, comme par exemple le bébé
qui mâche le mamelon avec ses gencives. Cette agressivité est du domaine d'une fonction
partielle. Ce sont ces fonctions partielles, que l'enfant, lorsqu'il devient une personne,
organise graduellement en agressivité.
Le petit enfant ne se rend pas compte du fait que ce qu'il
détruit, lorsqu'il est excité, est identique à ce qu'il estime au cours des moments
tranquilles entre ces périodes d'excitation. Dans ces moments-là, son amour va jusqu'à
une attaque imaginaire du corps de la mère. L'agressivité fait partie de l'amour.
La position dépressive
Nous en arrivons à parler de la position dépressive,
processus du développement affectif, important à considérer dans l'évolution de
l'enfant.
Cette position est la position centrale du développement
de l'enfant. Elle provient de la possibilité pour l'enfant de reconnaître grâce aux
expériences répétées de maternage, l'unicité de l'objet bon et mauvais, l'unicité du
" bon sein " et du " mauvais sein ", de la bonne mère et de la
mauvaise mère.
L'enfant est amené à comprendre que l'objet d'amour est
le même que l'objet de haine, le moi commence à effectuer la synthèse entre ses
sentiments d'amour et ses pulsions destructrices.
La culpabilité
Face à cette unicité, apparaît pour l'enfant la
capacité de se sentir coupable. Il en découle qu'une partie de l'agressivité se
transforme cliniquement en chagrin, en sentiment de culpabilité ou en équivalent comme
le vomissement. Le sentiment de l'enfant est qu'il a fait du mal, dans la période
d'excitation, à la personne aimée et c'est de là que dérive la culpabilité; le
sentiment s'édifie, s'élabore chez l'enfant. Il provient de la collision de l'amour et
de la haine.
Un travail d'étayage du corps psychique
Par ailleurs, la vie interne subjective de l'enfant est en
relation avec une vie subjective interne de la mère. Il existe une relation de sujet à
sujet où les affects (agressivité, haine, amour, culpabilité) seraient à travailler
dans la relation avec l'enfant.
La préoccupation maternelle primaire
Ceci nous amène à approfondir la préoccupation
maternelle primaire.
Dans la vie d'un jeune enfant, il est habituel qu'une
personne unique soit là pour l'aider à relier ses morceaux les uns aux autres pour qu'il
puisse réaliser ce qu'on appelle l'intégration de soi.
La mère qui a atteint cet état de préoccupation
maternelle primaire fournit à l'enfant des conditions dans lesquelles sa constitution
pourra commencer à se manifester, ses tendances à l'évolution se développer et où il
pourra vivre des sensations particulières à cette période primitive de la vie.
Ce sont d'abord des besoins corporels qui se transforment
progressivement en besoins du moi au fur et à mesure qu'une psychologie naît de
l'élaboration imaginaire de l'expérience physique, ce qu'on appelle une psychisation.
Grâce à ces expériences, la confiance dans la guérison
conduit petit à petit à un moi et à un moi capable de faire face à la frustration.
" Dans la petite enfance et pour le maniement des
nourrissons, il existe une distinction très subtile entre la compréhension maternelle
des besoins de l'enfant basée sur l'empathie et son évolution vers une compréhension
basée sur quelque chose qu'indique le besoin chez le nourrisson ou le petit enfant. Le
passage de l'un à l'autre est particulièrement difficile parce que l'enfant oscille d'un
état à l'autre... Grâce aux soins qu'il reçoit de sa mère, chaque enfant est en
mesure d'avoir une existence personnelle et commence donc à édifier ce qu'on pourrait
appeler le sentiment d'une continuité d'être ".1
Il semble qu'un environnement d'assez bonne qualité
permette au petit enfant de commencer à exister, d'avoir ses expériences, de construire
un moi personnel, de dominer ses instincts et de faire face à toutes les difficultés
inhérentes à la vie.
Dans cet ordre-là, un espace transitionnel, espace
d'illusions et d'échanges entre la mère et l'enfant, s'établit.
Linfirmière, en pédiatrie, se situerait dans cette
aire d'expérience, de jeu où elle accompagnerait l'enfant dans son hospitalisation comme
suppléant la mère. Le comprendre permettrait d'élaborer le soin à l'enfant, les soins
corporels d'une autre manière. La disposition de pensée de l'infirmière lui permettrait
d'être sensible aux besoins de l'enfant et de lui offrir la situation la plus favorable
pour y répondre.
En psychiatrie infanto-juvénile, dans le cas où cette
relation mère-enfant n'aurait pu s'établir, le soin nécessiterait une identification de
l'infirmière à l'enfant. " La santé mentale de l'individu s'édifie sur les soins
maternels ".
Le contre-transfert
Nous pourrions alors parler d'une forme de contre-transfert
maternel permettant une continuité du développement affectif personnel. Le nourrisson
commence à exister, à se constituer un vrai self, à devenir petit à petit un
être sujet.
Ce qui serait à travailler pour l'infirmière en
pédopsychiatrie, en vue de l'orientation des soins de l'enfant, serait ce qui entre en
jeu dans ce contre-transfert : du fait, par exemple, que l'enfant tend à mettre
l'environnement à l'épreuve. Une attitude professionnelle peut s'édifier sur une base
de défenses d'inhibitions, de discipline obsessionnelle. Cela permet de repérer des
phénomènes subjectifs et de pouvoir garder une attitude professionnelle avec l'enfant.
Des points de différenciation
Nous avons évoqué ce qui pourrait être des zones
d'articulation entre le champ de la pédiatrie et celui de la pédopsychiatrie. Il y
aurait à développer des points de différenciation de façon plus importante en
pédopsychiatrie, ainsi les notions de séparation, de temps et d'espace transitionnel.
La séparation
Dans le domaine de la psychiatrie infanto-juvénile,
l'enfant que nous rencontrons vit toute séparation comme une perte de lui-même. Il se
désintègre, n'existe plus. Il y a une non distinction entre le soi et le non soi, la
reconnaissance de ses limites et des limites de l'autre. L'enfant éprouve cette
séparation comme la perte d'une partie de son corps et est envahi par des terreurs
primitives comme celles de tomber, de se vider, d'exploser, d'être anéanti.
L'enfant n'a pas acquis la capacité d'être seul et de
penser, symboliser sa mère absente.
Linfirmière, par sa présence, par l'environnement
qu'elle offrira à l'enfant, aura à travailler ses angoisses de morcellement, à
signifier cette séparation-perte.
En pédiatrie, les soins s'adressent davantage à des
enfants de structure névrotique donc capables de symboliser l'absence de la mère. Un
accompagnement infirmier sera à mettre en place.
Le temps
En pédopsychiatrie, c'est la répétition, la rythmicité
des expériences, des échanges entre le nourrisson et la mère qui permettront à
l'infirmière d'organiser ces expériences selon un repère temporel. Ce temps n'a pas la
même valeur pour les enfants psychotiques. Il est différent, comme suspendu. L'enfant
n'a pas organisé de repère temporel, d'avant, d'après. Il ne se projette pas dans le
temps. Il vit tout au même niveau. Cet enfant est dans son monde, dans un ailleurs.
L'enfant est indifférencié. Il y aura à la structurer
dans le temps et dans l'espace.
Linfirmière devra tenir compte de cette notion de
temps dans son travail auprès de l'enfant. La répétition des jours, la rythmicité des
soins, leur ritualisation permettront de structurer, formaliser le temps. Cette
rythmicité dans la succession des expériences répétées est un facteur structurant
pour le développement de la capacité de pensée.
Lespace transitionnel
Un espace est une notion importante dans la prise en charge
des enfants. Cet espace, aire transitionnelle, espace d'illusion est à construire en
pédopsychiatrie.
Il s'agit d'offrir à l'enfant, dans un lieu, en un temps
précis, un espace contenant, une enveloppe qu'il pourra attaquer, agresser, reconstruire,
espace dans lequel il pourra tenter de symboliser l'absence, la présence, la
différenciation.
Linfirmière a à trouver un espace d'illusion pour
permettre à l'enfant de créer un espace qui n'est ni la réalité extérieure, ni la
réalité intérieure de l'enfant, un espace intermédiaire d'expériences.
Selon Winnicott, cette "aire intermédiaire serait une
aire allouée à l'enfant qui se situerait entre la créativité primaire et la perception
objective sur l'épreuve de réalité". Dans cette aire, l'enfant rassemble des
objets ou des phénomènes appartenant à la réalité extérieure et les utilise en les
mettant au service de ce qu'il a pu prélever de la réalité interne ou personnelle.
Ladaptation de la mère aux besoins du petit enfant,
quand la mère est suffisamment bonne, donne à celui-ci l'illusion qu'une réalité
extérieure existe, qui correspond à sa propre capacité de créer.
Nous avons donc envisagé des zones d'articulation : le
sens du symptôme, la relation parent-enfant, et des zones de partage : les notions de
préoccupation maternelle primaire, de séparation, d'espace transitionnel, de temps, de
contre-transfert, pour penser le soin infirmier en pédiatrie et en pédopsychiatrie.
Il conviendrait de le penser dans un projet pédagogique
qui poserait le soin infirmier dans ces deux champs comme une médiation cognitive pour le
champ pédiatrique et un travail d'étayage du corps psychique pour la pédopsychiatrie.
Dans cette formation, le soin infirmier serait à élaborer autour de zones d'articulation
et de zones de partage.
Note: Winnicott, De la pédiatrie à la
psychanalyse, Payot, 1978.
Article paru dans SOINS PÉDIATRIE
PUÉRICULTURE - N163 - FÉVRIER 1995
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