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PARIS le 01/11/1993
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Problèmes des pratiques et de la formation: Pédiatrie, pédo-psychiatrie
Nicole DAZET
  Paris, 1993: Nicole Dazet: Pédiatrie, pédo-psychiatrie

Dans la nouvelle formation qui amène à un diplôme unique, comment peut-on poser la question des soins infirmiers en tenant compte de la spécificité des champs des soins généraux d'une part et psychiatriques d’autre part.

A partir du module pédiatrie-pédopsychiatrie, nous envisageons de poser la question du soin infirmier dans ces deux champs.

La pédiatrie est une spécialité des soins généraux, la pédopsychiatrie, une spécialité du champ psychiatrique. Elles concernent toutes deux l'enfant.

L'infirmier est au cœur de ces deux spécialités. Il a, dans les deux cas, à comprendre ce qui se passe pour l'enfant, à donner des soins, à accompagner l'enfant malade.

Mais les rapports à la maladie, au patient, sont-ils les mêmes ? Le sens du symptôme se pose-t-il de la même manière ?

Reprenant la démarche de Winnicott, à partir de son ouvrage De la pédiatrie à la psychanalyse à l'intitulé significatif, nous pouvons saisir ce qui serait un travail de médiation cognitive entre des sujets pour la pratique pédiatrique, c'est-à-dire un travail sur la connaissance du développement affectif de l'enfant et le retentissement sur la maladie, et envisager la pratique pédopsychiatrie comme un travail d'étayage du corps psychique c'est-à-dire une élaboration de situations de soins, du cadre précis des soins pour aider l'enfant à se " construire ".

"Lorsque je réfléchissais à la relation entre la pédiatrie et la pédopsychiatrie, il m'apparut que cette relation ne concerne pas seulement une différence de domaine mais aussi une différence d'attitude émotionnelle selon qu'on aborde le cas en pédiatrie ou en pédopsychiatrie. Le symptôme représente pour le pédiatre un défi à son arsenal thérapeutique... Pour le pédopsychiatre, au contraire, le symptôme représente une organisation extrêmement complexe, apparue et conservée en raison de sa valeur"'.

Un travail de médiation cognitive

Cette perspective nous invite à partir de la relation de dépendance initiale pour l'enfant : dépendance relationnelle à la mère qui déterminera sa sociabilité, ses rapports aux autres.

La relation à l'enfant sera donc à comprendre dans ce cadre-là et le soignant aura à penser le symptôme présenté par l'enfant comme la traduction d'une modalité particulière de cette relation. Le symptôme serait alors pour lui " la possibilité de traduire un accroc dans le développement affectif ". Par exemple, l'énurésie peut avoir une signification particulière, celle de la persistance d'une relation infantile qui joue un rôle dans l'équilibre psychosomatique.

Le sens du symptôme

D'où l'importance pour l'infirmière de prendre en compte le symptôme (le considérer comme un SOS), d'interroger ce que l'enfant exprime à travers cela, ce qui nécessite une exploration du développement affectif de cet enfant.

Par exemple, pour l'enfant énurétique, l'infirmière aura à repérer les circonstances de l'énurésie, est-ce en lien avec un moment précis, une absence ou une présence trop importante de la mère. Le prendre en considération, c'est-à-dire ne pas l'annuler, ne pas l'exagérer ou ne le considérer qu'à partir d'une cause somatique, sera important pour l'enfant. Pouvoir en parler avec lui, l'évoquer en jouant peut l'aider à exprimer une " faille " dans son développement affectif.

Autrement dit, tout soin à un enfant nécessiterait de partir d’une connaissance du développement affectif primaire et d'une compréhension des manifestations significatives du développement normal.

L'agressivité

L’agressivité est une étape nécessaire dans le développement de l'enfant. Elle est présente avant l'intégration de la personnalité. A l'origine, explique Winnicott, elle est synonyme d'activités, comme par exemple le bébé qui mâche le mamelon avec ses gencives. Cette agressivité est du domaine d'une fonction partielle. Ce sont ces fonctions partielles, que l'enfant, lorsqu'il devient une personne, organise graduellement en agressivité.

Le petit enfant ne se rend pas compte du fait que ce qu'il détruit, lorsqu'il est excité, est identique à ce qu'il estime au cours des moments tranquilles entre ces périodes d'excitation. Dans ces moments-là, son amour va jusqu'à une attaque imaginaire du corps de la mère. L'agressivité fait partie de l'amour.

La position dépressive

Nous en arrivons à parler de la position dépressive, processus du développement affectif, important à considérer dans l'évolution de l'enfant.

Cette position est la position centrale du développement de l'enfant. Elle provient de la possibilité pour l'enfant de reconnaître grâce aux expériences répétées de maternage, l'unicité de l'objet bon et mauvais, l'unicité du " bon sein " et du " mauvais sein ", de la bonne mère et de la mauvaise mère.

L'enfant est amené à comprendre que l'objet d'amour est le même que l'objet de haine, le moi commence à effectuer la synthèse entre ses sentiments d'amour et ses pulsions destructrices.

La culpabilité

Face à cette unicité, apparaît pour l'enfant la capacité de se sentir coupable. Il en découle qu'une partie de l'agressivité se transforme cliniquement en chagrin, en sentiment de culpabilité ou en équivalent comme le vomissement. Le sentiment de l'enfant est qu'il a fait du mal, dans la période d'excitation, à la personne aimée et c'est de là que dérive la culpabilité; le sentiment s'édifie, s'élabore chez l'enfant. Il provient de la collision de l'amour et de la haine.

Un travail d'étayage du corps psychique

Par ailleurs, la vie interne subjective de l'enfant est en relation avec une vie subjective interne de la mère. Il existe une relation de sujet à sujet où les affects (agressivité, haine, amour, culpabilité) seraient à travailler dans la relation avec l'enfant.

La préoccupation maternelle primaire

Ceci nous amène à approfondir la préoccupation maternelle primaire.

Dans la vie d'un jeune enfant, il est habituel qu'une personne unique soit là pour l'aider à relier ses morceaux les uns aux autres pour qu'il puisse réaliser ce qu'on appelle l'intégration de soi.

La mère qui a atteint cet état de préoccupation maternelle primaire fournit à l'enfant des conditions dans lesquelles sa constitution pourra commencer à se manifester, ses tendances à l'évolution se développer et où il pourra vivre des sensations particulières à cette période primitive de la vie.

Ce sont d'abord des besoins corporels qui se transforment progressivement en besoins du moi au fur et à mesure qu'une psychologie naît de l'élaboration imaginaire de l'expérience physique, ce qu'on appelle une psychisation.

Grâce à ces expériences, la confiance dans la guérison conduit petit à petit à un moi et à un moi capable de faire face à la frustration.

" Dans la petite enfance et pour le maniement des nourrissons, il existe une distinction très subtile entre la compréhension maternelle des besoins de l'enfant basée sur l'empathie et son évolution vers une compréhension basée sur quelque chose qu'indique le besoin chez le nourrisson ou le petit enfant. Le passage de l'un à l'autre est particulièrement difficile parce que l'enfant oscille d'un état à l'autre... Grâce aux soins qu'il reçoit de sa mère, chaque enfant est en mesure d'avoir une existence personnelle et commence donc à édifier ce qu'on pourrait appeler le sentiment d'une continuité d'être ".1

Il semble qu'un environnement d'assez bonne qualité permette au petit enfant de commencer à exister, d'avoir ses expériences, de construire un moi personnel, de dominer ses instincts et de faire face à toutes les difficultés inhérentes à la vie.

Dans cet ordre-là, un espace transitionnel, espace d'illusions et d'échanges entre la mère et l'enfant, s'établit.

L’infirmière, en pédiatrie, se situerait dans cette aire d'expérience, de jeu où elle accompagnerait l'enfant dans son hospitalisation comme suppléant la mère. Le comprendre permettrait d'élaborer le soin à l'enfant, les soins corporels d'une autre manière. La disposition de pensée de l'infirmière lui permettrait d'être sensible aux besoins de l'enfant et de lui offrir la situation la plus favorable pour y répondre.

En psychiatrie infanto-juvénile, dans le cas où cette relation mère-enfant n'aurait pu s'établir, le soin nécessiterait une identification de l'infirmière à l'enfant. " La santé mentale de l'individu s'édifie sur les soins maternels ".

Le contre-transfert

Nous pourrions alors parler d'une forme de contre-transfert maternel permettant une continuité du développement affectif personnel. Le nourrisson commence à exister, à se constituer un vrai self, à devenir petit à petit un être sujet.

Ce qui serait à travailler pour l'infirmière en pédopsychiatrie, en vue de l'orientation des soins de l'enfant, serait ce qui entre en jeu dans ce contre-transfert : du fait, par exemple, que l'enfant tend à mettre l'environnement à l'épreuve. Une attitude professionnelle peut s'édifier sur une base de défenses d'inhibitions, de discipline obsessionnelle. Cela permet de repérer des phénomènes subjectifs et de pouvoir garder une attitude professionnelle avec l'enfant.

Des points de différenciation

Nous avons évoqué ce qui pourrait être des zones d'articulation entre le champ de la pédiatrie et celui de la pédopsychiatrie. Il y aurait à développer des points de différenciation de façon plus importante en pédopsychiatrie, ainsi les notions de séparation, de temps et d'espace transitionnel.

La séparation

Dans le domaine de la psychiatrie infanto-juvénile, l'enfant que nous rencontrons vit toute séparation comme une perte de lui-même. Il se désintègre, n'existe plus. Il y a une non distinction entre le soi et le non soi, la reconnaissance de ses limites et des limites de l'autre. L'enfant éprouve cette séparation comme la perte d'une partie de son corps et est envahi par des terreurs primitives comme celles de tomber, de se vider, d'exploser, d'être anéanti.

L'enfant n'a pas acquis la capacité d'être seul et de penser, symboliser sa mère absente.

L’infirmière, par sa présence, par l'environnement qu'elle offrira à l'enfant, aura à travailler ses angoisses de morcellement, à signifier cette séparation-perte.

En pédiatrie, les soins s'adressent davantage à des enfants de structure névrotique donc capables de symboliser l'absence de la mère. Un accompagnement infirmier sera à mettre en place.

Le temps

En pédopsychiatrie, c'est la répétition, la rythmicité des expériences, des échanges entre le nourrisson et la mère qui permettront à l'infirmière d'organiser ces expériences selon un repère temporel. Ce temps n'a pas la même valeur pour les enfants psychotiques. Il est différent, comme suspendu. L'enfant n'a pas organisé de repère temporel, d'avant, d'après. Il ne se projette pas dans le temps. Il vit tout au même niveau. Cet enfant est dans son monde, dans un ailleurs.

L'enfant est indifférencié. Il y aura à la structurer dans le temps et dans l'espace.

L’infirmière devra tenir compte de cette notion de temps dans son travail auprès de l'enfant. La répétition des jours, la rythmicité des soins, leur ritualisation permettront de structurer, formaliser le temps. Cette rythmicité dans la succession des expériences répétées est un facteur structurant pour le développement de la capacité de pensée.

L’espace transitionnel

Un espace est une notion importante dans la prise en charge des enfants. Cet espace, aire transitionnelle, espace d'illusion est à construire en pédopsychiatrie.

Il s'agit d'offrir à l'enfant, dans un lieu, en un temps précis, un espace contenant, une enveloppe qu'il pourra attaquer, agresser, reconstruire, espace dans lequel il pourra tenter de symboliser l'absence, la présence, la différenciation.

L’infirmière a à trouver un espace d'illusion pour permettre à l'enfant de créer un espace qui n'est ni la réalité extérieure, ni la réalité intérieure de l'enfant, un espace intermédiaire d'expériences.

Selon Winnicott, cette "aire intermédiaire serait une aire allouée à l'enfant qui se situerait entre la créativité primaire et la perception objective sur l'épreuve de réalité". Dans cette aire, l'enfant rassemble des objets ou des phénomènes appartenant à la réalité extérieure et les utilise en les mettant au service de ce qu'il a pu prélever de la réalité interne ou personnelle.

L’adaptation de la mère aux besoins du petit enfant, quand la mère est suffisamment bonne, donne à celui-ci l'illusion qu'une réalité extérieure existe, qui correspond à sa propre capacité de créer.

Nous avons donc envisagé des zones d'articulation : le sens du symptôme, la relation parent-enfant, et des zones de partage : les notions de préoccupation maternelle primaire, de séparation, d'espace transitionnel, de temps, de contre-transfert, pour penser le soin infirmier en pédiatrie et en pédopsychiatrie.

Il conviendrait de le penser dans un projet pédagogique qui poserait le soin infirmier dans ces deux champs comme une médiation cognitive pour le champ pédiatrique et un travail d'étayage du corps psychique pour la pédopsychiatrie. Dans cette formation, le soin infirmier serait à élaborer autour de zones d'articulation et de zones de partage.

Note: Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1978.


Article paru dans SOINS PÉDIATRIE PUÉRICULTURE - N’163 - FÉVRIER 1995

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Initiative:    Le groupe de réflexion bordelais
Le collectif National de mobilisation en psychiatrie (CNMP)
Le Centre d'étude des formations infirmières et des pratiques en psychiatrie (CEFI-PSY)