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Bordeaux, 1993: Former à la pratique du secteur
Former à la pratique du secteur
Mmes BIGOT, CARON, HOCHER, M. LAUMONIER
Collectif National de Mobilisation en Psychiatrie - Centre Hospitalier de SOTTEVILLE LES
ROUEN
Si nous avons choisi d'intervenir sur ce sujet, c'est
que, bien au-delà des textes, la pratique du secteur nous semble être l'essence de notre
profession, qu'à Bordeaux nous lui avons réaffirmé notre appartenance et que SOTTEVILLE
aurait -parait-il- une résonance particulière dans ce domaine. Tout d'abord, faisons un
petit retour en arrière : 1960 (il y a 33 ans) sortait la première circulaire dite
"du secteur". Ce texte, extrêmement ambitieux, était le résultat de
réflexions, d'idées, d'un mouvement né en psychiatrie dans les années 45-50, en
particulier après la découverte des camps et de leurs conséquences, sur l'enfermement,
les méthodes prônant l'exclusion, l'épuration, de même que le traitement infligé aux
malades mentaux en Allemagne ainsi qu'en France. Mais ce mouvement puisait aussi ses
racines en amont, dans la médecine humaniste et sociale d'entre les deux guerres et même
du début de ce siècle. Que disait cette circulaire qui, à l'époque (sauf pour quelques
professionnels avertis) passa pratiquement inaperçue ? Elle insufflait une autre façon
de concevoir la FOLIE alléguant qu'un Malade Mental n'était pas un paria, un
pestiféré, mais une personne à part entière, souffrant, ayant besoin de soins
adaptés, sur un temps donné. Qu'en aucun cas, il ne devait être mis HORS SOCIETE. Bien
au contraire, il devait être imaginé et mis en place des lieux de soins ne le coupant
pas de son milieu, cassant ainsi l'idée que seul l'asile pouvait répondre à la FOLIE.
De plus, elle promouvait la prévention ce qui en matière d'hygiène mentale, était une
véritable révolution et introduisait là notre intervention dans le champ social.
Intervention aux conséquences sans doute sous-estimée à l'époque, toujours
controversée car paradoxale et dérangeante (voire subversive !).
GERER LE PARADOXE ou LA MISSION
DE L'INFIRMIER PSYCHIATRIQUE DE SECTEUR
(Intervention de Mme CARON)
Entre le discours tenu à celui que l'entourage désigne
comme symptôme et comme psychotique et celui des contradictions sociales par rapport à
la folie, existe l'infirmier de secteur psychiatrique. Continuellement, l'infirmier de
secteur psychiatrique est confronté à cette, (à ces) gestion(s) des contradictions.
Toute vérité énoncée contient sa contradiction, toute affirmation son contraire, toute
règle ses exceptions, toute valeur sa zone d'ombre. Rien n'est jamais complètement noir,
acquis, bon, beau. Autrement dit, rien n'est possible sans la coexistence à la fois de la
haine et de l'amour, de l'affirmé et de son contraire.
Et c'est sans doute ici que se trouve le cur du travail de l'infirmier psychiatrique
de secteur. Etre confronté à la folie, à la prise en charge de la folie, à la maladie
mentale, c'est donc être confronté à l'incapacité qu'a le patient de pouvoir gérer à
la fois ce bon et ce mauvais. Toute activité humaine, parce qu'elle est humaine, peut
être amenée à un moment ou à un autre à sombrer dans ce dit clivage. Etre confronté
à la folie, à la prise en charge de la folie, c'est donc essentiellement être
confronté à l'incapacité qu'a le patient de pouvoir gérer à la fois ce bon et ce
mauvais, tout en étant également sollicité par des pressions sociales dont les demandes
sont, elles aussi, contradictoires, paradoxales, ambiguës et s'inscrivant également dans
le clivage du bon et du mauvais.
Devenir fou, c'est ne plus pouvoir gérer ses contradictions, ses ambivalences, c'est
être dans l'incapacité et / ou l'extrême douleur, du choix ou encore d'être l'excès
de choix. C'est, comme dit Mélanie KLEIN : l'incapacité d'avoir pu intégrer autour d'un
même objet, le bon "sein" et le mauvais "sein", et d'être dans le
clivage du bon et du mauvais. Alors, toute activité humaine, parce qu'elle est humaine,
peut être amenée à un moment ou à un autre, à sombrer dans ce clivage. Et comme ce
sont les humains qui créent et font la SOCIETE, la tentation est grande, par économie
libidinale, de faire gérer ses contradictions par d'autres ; d'imaginer des lieux
évitant la confrontation des contradictions, surtout quand les contradictions sociales et
individuelles finissent par se refléter en miroir. AINSI, L'INFIRMIER DE SECTEUR
PSYCHIATRIQUE A LA MISSION DE GARDER, D'ISOLER ET EN MEME TEMPS DE SOIGNER.
Premier paradoxe :
il sera confronté à la commande sociale de garder le
patient, de protéger la société et, à la demande individuelle du patient et/ou de son
entourage, d'être soigné, sinon guéri, pour pouvoir retrouver une place dans ce corps
social justement. Il a donc été confronté à la réalité de ce que furent les asiles
dont l'enfermement isolait de plus en plus le patient sur lui-même au détriment d'un
retour au sein du social ; comme il fut également confronté à la révolte sociale
qu'inspiraient les asiles en même temps qu'aux réticences à ouvrir ces derniers. En
conséquence, l'infirmier de secteur psychiatrique ne pouvait négliger ces données
sociales. Et le travail à faire au sein de cette société est de l'aider à gérer ses
contradictions : - d'admettre à la fois la dangerosité d'un individu et de faire
accepter l'amélioration de la santé mentale de celui-ci à un moment donné, pour
permettre le retour dans le tissu social ; - de travailler sur le temps, sur du
transitoire, sur des situations et non sur une condamnation sans appel. Tout cela suppose
un travail d'étayage et de soutien auprès du patient bien sûr, mais aussi auprès de
tout ce qui l'entoure, familial et social.
Il s'agit de faire émerger la contradiction au niveau du
corps social et de s'engager à gérer (la folie) avec ce dernier, d'accompagner celui-ci
et de le soutenir de façon à rendre la vie possible, et pour le patient et pour le
voisinage. C'est ainsi apporter la garantie que l'exclusion sera transitoire et que le
lien sera maintenu entre l'exclu et le social, que ce dernier sera accompagné dans cette
contradiction d'exclure et d'intégrer, sans culpabilisation et sans se sentir en danger.
Ce faisant, l'infirmier de secteur psychiatrique
s'incarne symboliquement dans le rôle de "garde-fou" au-delà de la
désignation première tant du point de vue social que thérapeutique, empêchant ainsi le
totalitarisme de l'exclusion "élimination" (un seul choix, une seule voie) et
permettant à la contradiction et à la valeur du paradoxe de se mettre en place. Et donc,
par effet de miroir, au malade mental d'avoir sa place dans le SOCIAL.
Deuxième paradoxe : Sujet/objet
En pathologie somatique, le sujet reste le sujet, il a
une maladie qui, elle, sera l'objet de nos soins. Sa pathologie, qui peut bien sûr
influer sur le caractère ou sur la situation du sujet, n'entame cependant pas son
intégrité, le sujet demeure lui-même, en ce qui concerne sa vie psychique. En
pathologie mentale, c'est le sujet lui-même qui sera l'objet de nos soins. Ce sont ses
relations, sa communication, son rapport à l'autre, sa façon de voir et de se comporter
dans la vie, sa souffrance et sa détresse psychique qui font l'objet de notre attention,
de nos observations, de notre travail. Cependant, l'essentiel de la psychose est de se
vivre comme l'objet de l'autre, et non comme sujet désirant à part entière,
différencié de l'autre. Toute la difficulté réside donc dans le fait de redonner une
place de sujet, un statut de sujet (dans le socius d'ailleurs) à notre objet de soins.
Notre objet de soins est à la fois notre objet par les soins que nous lui prodiguons,
mais les soins que nous prodiguons visent à le faire advenir comme sujet, un sujet que
nous devons toujours aider à se redéfinir.
Le malade ne saurait nous appartenir.
Troisième paradoxe, et pourtant...
Toute amélioration de son état passera donc par le
sujet lui-même et, si les soignants gardent un rôle soignant, ce ne peut être que LUI,
le sujet qui se situe dans un désir de guérison. Tout accès au désir pour lui en lieu
et la place du sujet vont repousser ce dernier dans un retrait d'objet et rendre
finalement impossible l'accès à une amélioration. Tout soignant devra donc se garder de
la toute puissance "du vouloir guérir". En un mot, l'infirmier de secteur
psychiatrique doit être le garant du paradoxe, de soigner, sans pour autant guérir.
Autres paradoxes...
Dans ce registre, l'infirmier psychiatrique de secteur
sera amené à contenir la folie sans la contraindre ou à la cadrer, tout en permettant
que le cadre soit constamment l'objet d'attaque et à faire en sorte que celui-ci,
institutionnel ou non, soit assez résistant tout en étant suffisamment souple. On le
voit donc, la particularité de l'infirmier psychiatrique de secteur est d'être le garant
du paradoxe tant sur le plan social que sur le plan thérapeutique. L'infirmier de secteur
psychiatrique était, tout au moins dans ce qui était jusqu'ici défini comme sa mission,
un des garants permettant la fonction du paradoxe et ceci pour la SANTE DU MENTAL DE TOUS.
"Je demande qu'un paradoxe soit accepté, toléré
et qu'on admette qu'il ne soit pas résolu. On peut résoudre le paradoxe si l'on fuit
dans un fonctionnement intellectuel qui clive les choses mais le prix payé est alors la
perte de la valeur du paradoxe" (WINNICOTT, "Jeu et réalité").
La gageure donc du contenu de cette circulaire de 1960
était : "SOIGNER AUTREMENT HORS DES MURS, DANS LA CITE".
D'autres textes viendront alimenter ces premiers
prémisses : Les modifications sur le statut des internés, le développement des SERVICES
LIBRES, le DECOUPAGE GEOGRAPHIQUE, la PREVENTION, l'EQUIPEMENT SECTORIEL, etc... pour
finir par la LOI DE 1985 donnant un statut juridique à la sectorisation. Alors
qu'aujourd'hui, partout en FRANCE, la psychiatrie publique est officiellement basée sur
la sectorisation, parallèlement certaines voix s'élèvent pour dire qu'elle serait
dépassée... Qu'elle n'a pas répondu aux attentes des premières années... Qu'elle
coûte cher... Qu'elle n'a pas changé les pathologies... etc...
A ces pessimistes (ou ces détracteurs) nous répondrons
simplement : Que la sectorisation n'a pas pour unique objectif de "GUERIR" mais
plutôt de mieux soigner, de faire accepter la différence, de maintenir ou d'intégrer le
malade mental dans la société, de casser ces lieux sordides que sont les asiles et
toutes les conséquences iatrogènes qu'ils génèrent, ceci au profit de structures
alternatives, visant à éviter une hospitalisation complète trop souvent prétexte à
exclure le MALADE MENTAL et le rejeter entre des murs.
Jean DEMAY considère que "l'objectif fondamental de
l'équipe soignante en psychiatrie est de faire tout ce qui est en son pouvoir pour
utiliser toutes les connaissances scientifiques actuelles médicales, psychologiques, pour
donner aux personnes atteintes de troubles psychiques les moyens d'accéder au maximum
d'autonomie de pensée, de choix et d'action". Rapport DEMAY - Une voie française
pour une Psychiatrie Différente -. Mais tout d'abord à travers ce MOT vague et parfois
galvaudé de SECTEUR, qu'entendons-nous par là ? A partir des textes, mais aussi de notre
pratique quotidienne, nous avons tenté d'y répondre.
Premièrement, le SECTEUR, c'est d'abord d'imaginer,
créer, innover, définir, redéfinir des prises en charge, des lieux, des actions au plus
près des besoins du MALADE MENTAL et de la POPULATION. C'est l'ouverture sur la
communauté, l'accompagnement ouvrant sur la cité.
L'arrêté du 14 mars 1986 et le GUIDE DE PLANIFICATION
EN SANTE MENTALE de 1987 nous en font d'ailleurs un inventaire non exhaustif. Et ce
dispositif a bien pour but de soigner autrement, dans des lieux ouverts où le MALADE
n'est plus seulement "PATIENT" mais "ACTEUR" de sa prise en charge.
L'un des exemples le plus probant, à notre sens, est le CENTRE DE CRISE où le MALADE
vient demander un soin, une aide psychologique à une équipe disponible, à l'écoute
qui, sur un laps de temps défini et au plus près de chez lui, pourra l'accompagner dans
son mal-être, vers un mieux... afin qu'il reprenne sa place dans le social.
Là encore, BEAUCOUP font remarquer qu'à la chronicité
des asiles est venu se substituer la chronicité de structures sur le terrain.
Pourtant, comme le dit la circulaire de mars 1990,
"Si la chronicité est le fait de la maladie, la chronicisation est le fait des
institutions. La chronicisation ne se définit pas en termes de durée de prise en charge,
mais comme abandon de tout projet et absence de perspective pour un patient Il faut donc
se garder de croire qu'une structure quelle qu'elle soit et où qu'elle se situe n'est à
l'abri de la chronicisation. Au fil du temps, tout fonctionnement peut devenir lourd, se
vider de sa substance soignante, sans qu'aucune remise en cause institutionnelle ne soit
possible. Alors qu'une structure soi-disant lourde pourra, au contraire, faire preuve de
dynamisme de prises en charge originales, et savoir évoluer.
Il apparaît clairement "que la chronicisation n'est
pas l'apanage de l'hospitalisation à temps complet ; les structures de soins à temps
partiel peuvent également en être le lieu" (circulaire de mars 90).
La psychiatrie draine 0 combien 1 son lot de pathologies
dites lourdes qui s'inscrivent dans une durée de temps, difficile, voire impossible
actuellement à situer, et bien souvent dans un quotidien contribuant à lasser les
équipes s'il n'est pas soutenu par un projet soignant.
Mais il ne faut pas oublier que ce bénin, ce banal dont
parlent les REQUISITS font partie intégrante de notre pratique professionnelle et que
notre mission c'est justement d'en faire un outil thérapeutique quel que soit le type de
structure où elle s'exerce.
Deuxièmement, le secteur est pour beaucoup la petite
voiture, la sacoche et les KMS avalés, la VISITE à domicile, la piqûre (très souvent
retard), la journée sur la route,... etc... C'est en effet un des multiples aspects de la
sectorisation et de l'infirmier sur le terrain. Là encore, certains s'interrogent sur son
efficacité, sur ce temps perdu sur la route, pourquoi ne pas créer des équipes sur
place ? Les détacher des autres structures, les satelliser en quelque sorte (moindre
frais). La circulaire de mars 90 a donné une excellente définition de l'équipe de
secteur : un lien nécessaire entre les structures, entre le dedans et le dehors, une
continuité dans la prise en charge par cette même équipe ou, comme le dit le Dr MIGNOT,
c'est "La permanence, l'articulation et la cohérence du cadre de service dans lequel
les patients évoluent qu'il convient d'assurer". Ce n'est en tout cas certainement
pas un dossier circulant de mains en mains où le malade n'est même plus reconnu comme
sujet avec une histoire mais comme une pathologie, un numéro, une fiche, un diagnostic
bref comme un nb@@, éclaté dont quelques personnes en détiendraient un petit bout.
Troisièmement, LA SECTORISATION C'EST EGALEMENT UN PARI
DE SOIN, une idéologie humanitaire de fond : utiliser le SOCIUS comme élément soignant.
"Découvrir les potentiels d'accueils et d'intégrations dans l'environnement plus ou
moins immédiat dans divers collectifs, social, culturel et autre, l'évolution des
orientations du service infirmier et de la fonction infirmière". Cela implique
inévitablement un déplacement du lieu HOPITAL vers le quartier, la commune, etc...
sortir de cet hospitalo-centrisme où le pouvoir médical, soignant et administratif est
quasi absolu. Apprendre à travailler avec les autres. Ne pas être l'intervenant direct
mais laisser la place au moteur social. C'est probablement cet aspect de la sectorisation
que peu d'équipes ont su ou pu faire. Le discours de Sotteville en septembre 1981 était
de l'inspiration d'un grand monsieur qui nous a quitté récemment et à qui nous pouvons
rendre hommage.
Tony LAINE, puisqu'il s'agit de lui, a permis à
l'équipe qui travaillait avec lui, et non pour lui, de mettre en pratique ce dernier
point. A Ste Geneviève des Bois, toutes les structures et les équipes sont intégrées
dans la cité, elles font partie du tissu social.
Quatrièmement enfin, être sur le terrain, en connaître
la population, c'est en reconnaître ses besoins, les définir et mettre en place des
réponses les mieux adaptées et des professionnels les mieux formés.
C'est là aussi une des grandes idées de la
sectorisation. Mais, contrairement à ce qu'en espéraient les gestionnaires, cela ne peut
aller de paire avec une réduction des coûts. Bien au contraire, c'est développer des
moyens et tout particulièrement la matière première de notre profession : LE TEMPS
HUMAIN. On le voit, "LA SECTORISATION" est un concept vaste et complexe.
La formation de l'infirmier(e) travaillant en psychiatrie
de secteur sera donc également vaste et complexe.
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