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BORDEAUX le 19/11/2005
Du fait humain au fait psychiatrique
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Fait psychiatrique... Fait humain ...
Annie Bombaud, Laurette Brodut, Roselyne Roubertie, Marie Jo Sahel, Daniel Chambinaud, Dominique Lautrette, Michel Vignaud
  FAIT PSYCHIATRIQUE... FAIT HUMAIN...

"FAIT PSYCHIATRIQUE…                   …FAIT HUMAIN."

Annie Bombaud, Laurette Brodut, Roselyne Roubertie, Marie Jo Sahel, Daniel Chambinaud, Dominique Lautrette, Michel Vignaud

I- INTRODUCTION:

II- SOIN GLOBAL EN PSYCHIATRIE, REDUCTION ET/OU RUPTURE DU SOIN:

A- La relation soignante et la production de sens:

B- Insuffisances de la formation initiale et conséquences dans la pratique; Un exemple en pédo- psychiatrie:

C- La centration sur le faire ; formules toutes faites, outils divers, et activité de la pensée:

D- éviter la réduction du soin, sa déformation, à la seule prise en compte du symptôme, à la volonté de l’éradiquer:

E- Intra–hospitalier ; logique institutionnelle et soin:

F- Contrainte économique et prise en charge en extra–hospitalier:

III- TEMPS D’ELABORATION ET D’APPROPRIATION DE SA PRATIQUE PAR LE SOIGNANT:

A – L’exemple du groupe de recherche:

- intérêt du choix du thème par les soignants:
- nécessité de la distance:
- importance du tiers
- la relation et la mise en sens

B – Particularité de la régulation:


I- INTRODUCTION:

Dans un texte paru dans LE MONDE DIPLOMATIQUE en avril 2005, qui s’intitule: "De la réduction des têtes au changement des corps", DANY-ROBERT DUFOUR fait état de ce qui se passe sous ce qu’il a appelé par ailleurs "le capitalisme total".

Il fait référence au MANIFESTE de MARX et ENGELS où ces derniers déclarent que sous ce mode de production, il existe un "incessant changement des instruments" et des "rapports de production", enfin de tous les rapports sociaux, et "un ébranlement continuel de toutes les institutions sociales".

L’auteur ajoute, que "les marchandises étant réduites à un ensemble de produits qui s’échangent à leur stricte valeur marchande, les hommes doivent se débarrasser de toutes ces surcharges culturelles et symboliques qui garantissaient naguère leurs échanges."

Pour l’auteur, "portes", "ponts" et "fenêtres" sur les billets en euros exaltent une "fluidité déculturée" en ayant remplacé des figures de la culture telles que celles de "DESCARTES", " PASCAL", "PASTEUR" et " DELACROIX".

Dès lors, nous essaierons d’établir un lien entre cette réalité socio-économique et politique, où la loi dominante est liée à celle de la libre circulation des marchandises, et la réalité du fait psychiatrique, à savoir la place donnée au patient.

Quiconque s’intéresse aux soins en psychiatrie est amené à mettre bout à bout plusieurs constats qui finalement l'autorisent à réactualiser la formule de FREUD pour évoquer "un nouveau malaise dans l'hôpital".

En psychiatrie il est aisé de faire le constat d’une multiplicité de changements et d’une instabilité grandissante ayant débuté il y a un peu plus d’une décennie.

Ainsi nous citerons la création du diplôme unique pour les infirmiers, l’accréditation, Le PMSI, l’informatisation généralisée, les enquêtes et les audits multiples relatifs aux priorités décidées par le Ministère, suivis prochainement par "HOPITAL 2007" et la tarification à l’activité.

Au niveau même des unités de soins point une instabilité croissante pour certaines équipes, qui connaissent une augmentation du turn-over, des renouvellements trop importants et trop rapides du personnel devenant préjudiciables à la qualité des prises en charge.

Tout ce qui de près ou de loin participe de la recherche de sens dans les soins doit céder la place face à tout ce qui nous est demandé: l ‘espace accordé à la réflexion, à la mise en perspective se raréfie et en revanche, nous voyons prospérer différentes tâches, études ou enquêtes.

La prise en compte de la dimension symbolique et culturelle est remise en cause dans le social. Elle reflue aussi dans le champ des soins psychiatriques. La charte de l’exercice professionnel en psychiatrie et en santé mentale, proposée aujourd’hui à validation, ainsi que la charte pour une formation des infirmiers travaillant en psychiatrie nous rappellent que le patient connaît des "difficultés, voire une impossibilité à symboliser le réel, à élaborer le réel dans une dimension de sens".

La dimension du sens ne saurait être éludée, sans dommage pour le patient, jusqu’à retentir parfois sur le corps. Ainsi, nous ne pensons pas seulement à des effets sur le comportement, mais également à des conséquences possibles dans le somatique, qui précisément peuvent être relatives à un manque de sens. En psychiatrie, la relation soignant-soigné est riche d’éléments à interroger pour arriver à une mise en sens pertinente. Au delà, nous aurons à penser la concrétisation permettant la restitution au patient, du sens recevable par lui.

Forcément pris dans la relation, les soignants ne peuvent pas échapper à leur implication dans cette dimension.

La crise de notre système économique entraîne des budgets constants et une quantification seule de l'activité. En effet le PMSI , producteur de volumes chiffrés, n’a pas permis semble-t-il, d’établir des corrélations significatives entre des quantités et d’autres données relevées. Il nous a été annoncé cette année comme étant   "inadapté pour la psychiatrie". L’accréditation- certification- s’intéresse elle, aux "pratiques de qualité", "non aux résultats obtenus".

Or des pratiques nous semblent tout à fait pouvoir être qualifiées de "bonnes", au regard de certains éléments. Mais le travail relationnel et de mise en sens peut être perturbé, morcelé, à cause d’un turn-over des patients trop élevé lié, par exemple, à un nombre des lits disponibles insuffisant sur l’ensemble d’un établissement, par rapport aux besoins à un moment donné.

Au regard simplement de chiffres, l’exemple d’un patient venant à des consultations régulières, vivant reclus chez lui le reste du temps et ne posant aucun problème dans le social, pourrait être considéré comme une des réussites les plus importantes de la psychiatrie, si l'on en considère que le coût.

II- SOIN GLOBAL EN PSYCHIATRIE ,REDUCTION ET / OU RUPTURE DU SOIN:

A- LA RELATION SOIGNANTE ET LA PRODUCTION DE SENS:

A l’hôpital de jour, lors d’un entretien individuel avec un patient m'ayant déjà raconté l’histoire de sa pathologie, particulièrement l’origine des idées qui le faisaient souffrir avant le début de ses hallucinations auditives, une modification de son rapport à sa maladie, à son symptôme est survenu. Ce patient entendait des voix qui le traitaient de raciste. A moment donné il m’a expliqué qu’avant d’avoir des hallucinations, il avait connu une période de très grande anxiété, pris dans un étau, entre une envie de vote contre les étrangers et l'insupportable idée d’avoir des pensées racistes.

Je lui ai fait remarquer alors que le contenu de ses voix était identique aux reproches qu’il s’adressait à lui même lors de la phase d’intense anxiété qui avait précédé. Il a été étonné de ne pas avoir remarqué cela et a accepté d’emblée ce lien. Par la suite, il s’attachait à convaincre d'autres patients que leurs hallucinations auditives étaient le fait de leur propre production psychique. Il fut dès lors plus apaisé par rapport a son symptôme hallucinatoire. Il se l'était approprié et le médecin nous expliqua que c’était rassurant pour lui de ne plus être soumis à la jouissance de l’autre. Quelque chose n’avait peut être pas été symbolisé et a fait retour par l’extérieur sous la forme d’hallucinations auditives, mais surtout, ce patient a accepté l’hypothèse que ces idées insultantes étaient les siennes. Le sens qu’il a intégré était recevable par lui, à ce moment là.

Un lien symbolique peut être fait par le patient, sans qu’il lui soit proposé par un soignant, et lui permettre aussi l'intégration de sa partie malsaine à sa partie saine. Dans notre exemple il s'agit d’un temps d'entretien, mais le sens peut être produit, occasionné, lors d’activités diverses organisées par les soignants et être intégré par le patient, quelque soit le modèle de soin utilisé. Toute activité, est un prétexte pour produire, occasionner du sens, est un support de la relation, et y fait médiation.

La réunion de synthèse a permis de donner du sens à du contenu de la situation de soin. Une telle réunion permet de réfléchir à ce qui s’est passé, par la mise en commun, et d’évaluer l’importance qu’a pu revêtir pour le patient, un apport de sens, par rapport à sa souffrance.

B- INSUFFISANCES DE LA FORMATION INITIALE ET SES CONSEQUENCES DANS LA PRATIQUE,UN EXEMPLE:

Il existe, à cause d’insuffisances de la formation initiale des réductions du soin, des ruptures de la relation soignante, voire une absence de cette relation. Au CH ESQUIROL de LIMOGES, la formation à la relation d’aide est reconduite tous les ans au plan de formation continue. Il existe aussi des formations d’adaption à l’emploi qui avaient été mises en place pour les nouveaux diplômés et embauchés. En ce sens, la globalité du soin en psychiatrie nous semble encore prise en compte de manière importante, pour être abordée au delà de la formation initiale, avec ceux qui débutent dans ce champ de la profession.

Un exemple en pédo-psychiatrie:

Lors d’une admission programmée, s’est déroulée une situation relationnelle difficile. Il s’agissait d’un jeune homme de 17ans, associable, connaissant des troubles du comportement et des ruptures multiples avec l’environnement.

Les comportements problématiques de ce jeune consistaient en des conflits parfois violents, et qui étaient permanents. Ses parents ne lui avaient jamais donné de limites et il était tout simplement un "sauvageon". Il terrorisait sa mère et lorsqu ‘elle lui disait non il n’en tenait aucunement compte. Il était sans foi ni loi, le père n’intervenait pas, et il a était présenté ainsi à l’équipe infirmière.

L’objectif de l’hospitalisation était de permettre une observation, une coupure avec le milieu familial et social, de mettre en place un projet de vie et de l’aider à retrouver une place dans un établissement scolaire et aussi dans un milieu familial d’accueil.

Il refusait tout des soins et de l’aide proposés mais néanmoins il avait accepté l’hospitalisation. Cette dernière lui a été expliquée comme un temps nécessaire pour qu’il puisse penser ses comportements. Je lui ai présenté sa chambre et les locaux de notre service. Je lui ai lu le règlement intérieur en lui précisant que je répondrai à toutes les questions qu’il se pose. Je demande alors à un infirmier nouvellement diplômé de l’aider à ranger ses affaires, et de faire avec lui le récapitulatif de son inventaire. Quelques minutes plus tard je dois intervenir dans la chambre, au son de cris et d’insultes. Je demande ce qui se passe au moment où se déroule une discussion extrêmement violente entre patient et infirmier qui s’insultent mutuellement et copieusement. Je suis obligée de dire stop et de demander à mon jeune collègue de sortir. Après maintes et maintes discussions, le jeune patient accepte de ranger ses affaires dans l’armoire.

Ce patient était en fait dans son fonctionnement habituel et il a refusé tout de suite ce que l’infirmier lui a demandé. Après leur séparation, j’ai recommencé à discuter en partant de l’inventaire, pour mettre un élément tiers, dans la relation. Au tout début j’ai pris un tee-shirt par la figure, je l'ai posé calmement sur le lit pour le plier soigneusement comme une bonne mère, ou plutôt comme une "grand mère qui a l’autorité", selon ses propres mots. Petit à petit il s’est calmé. Le retour à l’apaisement avait eu lieu. A ce moment là l’infirmier, qui travaillait depuis un an dans l’unité n’acceptait toujours pas la demande que je lui avais faite de sortir de la chambre, d’interrompre la relation avec le patient. Il m’a demandé "de quel droit je lui avais formulé un telle demande?"

Je lui ai répondu naturellement qu’en tant que cadre j’étais garante du bon déroulement du travail dans l’unité, et de la sécurité des soignés et des soignants.

J’ai alors abordé de nouveau avec lui la problématique de cet adolescent et notre rôle soignant. Malgré les difficultés rencontrées je lui ai alors précisé que nous ne pouvions pas répondre à la violence par la violence. Cet infirmier n’avait pas conscience dans ce conflit, du type de problématique de ce jeune homme , pour qui la loi n'était pas intégrée.

Dans cette situation je pense qu’en plus du manque d’expérience, le manque de connaissance en psychopathologie ne lui a pas permis d’avoir l’espace nécessaire pour bien appréhender cette situation de soins. Il avait confondu cette situation de soin et une altercation avec une personne ayant intégré la loi.

Ainsi il n’a pas établi une relation adaptée dans ce contexte.

Ces situations peuvent provoquer des incidents graves, casser aussi une relation de confiance, en fin de compte empêcher peut être, ou pour le moins retarder, tout travail thérapeutique.

C- LA CENTRATION SUR LE FAIRE, FORMULES TOUTES FAITES, OUTILS DIVERS, ET ACTIVITE DE LA PENSEE:

Il existe toujours une tendance à réduire le soin à la dimension de l’agir et du savoir-faire, ainsi qu’à croire que le soin va de soi. Cette tendance concerne aussi bien la dimension relationnelle que celle qui est relative aux actes en direction du somatique. Elle nous semble confortée par une série de formules toutes faites. Dans le n ° 2136 du "NOUVEL OBSERVATEUR", JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD nous rappelle que:"  des discours uniques, porteurs d’injonctions à l’emporte-pièce plutôt que d’analyses véritables, qui applaudissent des évolutions contribuant forcément selon ceux qui les énoncent, à la marche irrépressible du progrès ", sont monnaie courante.

Diverses formules sont rappelées dans de multiples écrits et discours. Leur expression répétitive semble faire croire à des raccourcis possibles qui garantiraient une pratique de qualité, alors que toutes les actions de soins demandent élaboration, une mise en sens. L'une de ces formules demande de "faire place centrale au patient", dans les soins, leur organisation, dans l’hôpital. Pour une autre de ces formules, "le patient doit être l’acteur de ses soins". Tout bon principe pouvant toujours être rappelé il n’en reste pas moins qu’en psychiatrie, lorsqu’il s’agit du relationnel, tout ne va pas de soi. Les situations rencontrées et les interrelations doivent être interrogées, mises en sens. Si nous sommes pris immédiatement dans une dimension de sens dans les soins, la mise en sens n’est pas immédiate. C’est par l’interrogation des situations rencontrées, que sera permise une construction de sens, à l'aide de ce que l’on sait, et aussi de son ressenti. Autrement dit, aussi bien dans les soins indirects qui ont trait à la mise en sens, que dans les soins directs, nous travaillons avec ce que l’on sait et avec ce que l’on est.

Revenant à nos formules toute-faites, les interrogeant, nous pouvons être conduits à penser qu’il convient parfois de placer le patient "à côté" plutôt "qu’au centre", pour construire son projet de soins. Qu’en est-il par ailleurs, du "patient acteur de ses soins", lors d’une hospitalisation sous contrainte?

Bien entendu les soignants travaillent toujours, sur la base de la relation de confiance, à aider le patient à adhérer au mieux au processus de ses soins, aussi bien en hospitalisation libre, que sous contrainte.

Le travail d’analyse par les soignants est incontournable comme base de formalisation et de mise en œuvre du plan de soins. Ainsi transmissions ciblées, autres outils divers du dossier de soin, protocoles, ne suffisent pas. L’étape de l’analyse des données est indispensable pour la démarche de soins. Le rapport du patient à sa pathologie, à son traitement, aux autres, pourra ainsi être mis en évidence et une problématique dégagée. La relation soignant-soigné dans la pratique, permet d’apporter aide et améliorations.

Elle est en elle même un objet à interroger.

Nous avons parlé de la prise en compte au CH Esquirol de la dimension relationnelle du soin en psychiatrie. En regard des situations rencontrées dans la pratique, il nous a été proposé de compléter des fiches de soins "éducatifs et relationnels". Il s’agissait de préciser le nombre de soignants nécessaire, le chronométrage moyen, aussi bien que les précautions à prendre, en plus des objectifs. Ces fiches se veulent indicatrices des caractéristiques d’une activité ou d’une action soignante.

Pour certaines fiches il a tout à fait été possible de standardiser un ratio personnel/patients et le temps moyen nécessaire. Dans mon unité nous avons été confrontés à "l’aide à la maîtrise d’un comportement" et à la fiche correspondante.

A propos de cette action, nous avons répondu qu’en ce qui concernait le nombre de soignants et le temps moyen nécessaire cela pouvait être "variable" ou "très variable".Quant aux "précautions à prendre",nous avons répondu qu’il était nécessaire de "se placer du point de vue de l’autre". L’intérêt réside ici en un rappel de principes devant guider la relation soignante dans ces moments là.

Devoir "se placer du point de vue de l'autre" nous signifie que nous sommes précisément toujours pris dans une dimension de sens, dans toute situation de relation. Mais le sens ne va pas "tout" de soi, il en reste, et il en restera, toujours à construire.

C’est par l’écoute active et la mobilisation de la pensée dans une orientation appropriée que nous serons au mieux placés dans la pratique d’un soin individualisé.

Il n’existe pas de formule toute-faite, de transmission ciblée, de fiche de soin standard, à fortiori de protocole, qui puisse nous dispenser de nous questionner sur le sens de la relation soignant-soigné, dans laquelle nous sommes pris. La relation ne peut être dépossédée de ses sujets. Nous pouvons questionner la relation, nous interroger sur nous mêmes dans cette relation, quand le patient est "à côté", à distance, et que le cadre thérapeutique nous représente auprès de lui en notre absence. Nous pouvons faire retour dans la relation soignant-soigné d’une manière différente, réajustée, si cela s’est avéré nécessaire.

D- EVITER LA REDUCTION DU SOIN, SA DEFORMATION, A LA SEULE PRISE EN COMPTE DU SYMPTOME, A LA VOLONTE DE LE MAITRISER , SINON DE L’ERADIQUER:

Si nous connaissons le principe du mécanisme de la projection dans les relations humaines, et particulièrement dans la relation soignant-soigné en psychiatrie, nous pouvons avoir une certaine maîtrise de nos contre- attitudes vis à vis du patient. Pour autant, au delà même des moments d’agitation ou de violence, il conviendra également de( ré-)interroger la relation, après–coup, de façon à fonder sur la mise en sens, la continuité de la relation soignante dans la prise en charge. Il existe la tendance à réduire la conception du soin, à la seule contention du symptôme. Le patient étant alors réduit à son symptôme. Il y a effacement du sujet derrière son symptôme.

L’agitation, la violence, sont des formes d'expression de ce qui n’a pas pu être parlé. La violence, l'agitation sont prises dans une continuité relationnelle. Il n’y a pas lieu de les séparer dans leur questionnement de celui de l’ensemble du déroulement de la relation soignants–soigné.

Il y a toujours un avant, un pendant, et un après dans une continuité possible, dans une continuité élaborée, et s’il peut y avoir crise et rupture il peut y avoir dépassement. Ici se situe bien la problématique de nos patients ; l'impossibilité d’accéder par eux mêmes à une symbolisation incontournable.

Un accent particulier peut être mis sur la dimension de la neutralisation physique, sur la contention. Le regard porté par les soignants sur le soigné est un élément déterminant pour le comportement ultérieur de ce dernier. La réponse des soignants face au problème posé par la violence, ou pour le moins par l'agitation, ne peut pas seulement relever de l’emploi de techniques de négociation, de neutralisation physique et protocoles de contention.

Nous nous sommes demandé si des changements objectifs relatifs au recrutement du personnel, par rapport au passé, ne peuvent pas avoir conduit, ou participé, à des modifications de messages adressés au patient qui est agité ou violent à un moment donné.

J’ai le souvenir d'une situation d’agitation d’un patient pour qui la contention physique n’a pas été nécessaire. En 1984 j’étais à peine arrivé dans une unité fermée de psychiatrie adulte qu’un jour, un patient maniaque était dans un grand état d’agitation à son retour des jardins de l'hôpital ou il travaillait. Nous étions deux, une collègue et moi et avons du attendre du renfort. Il était environ midi et les collègues qui devaient venir n’étaient pas encore rentrés de visites à domicile. En fin de compte nous nous somme retrouvés cinq infirmiers présents au même moment.

Le patient connaissait tout le monde , il est entré dans le bureau, a salué mes collègues et il a demandé des calmants en précisant que lorsqu’il "en  fallait, il en fallait". Par cet exemple, je voulais simplement illustrer le fait que nous n’avions pas besoin de compter sur une équipe de sécurité. La contention pouvait rester une tache exclusivement dévolue aux soignants. Nous étions le plus souvent assez nombreux pour signifier au patient l’existence d'une limite infranchissable.

Aujourd’hui encore, nous préférons faire appel à des soignants pour la contention, autant que faire se peut. L’intervention d’agents de l’équipe de sécurité, incontestablement nécessaire lorsqu’elle a lieu, ne peut elle pas induire une modification de message adressé au patient ? Le symptôme ne risque-t-il pas d’être compris comme un comportement déviant plutôt que comme une expression du sujet en lien avec sa pathologie ? Ce message reviendrait alors comme tel au patient.

Ceci dit, lors de situations exigeant une contention, y compris avec l’aide de l’équipe de sécurité, tant qu il existe après-coup une reprise par la parole, le patient ne vit pas le regard des soignants porté sur lui, comme un regard qui l’aurait identifié à un délinquant. Le patient semble alors bien intégrer que les soignants l’ont compris comme quelqu’un ne maîtrisant pas ses comportements.

Dans certaines situations où le patient s'emporte contre les soignants, il y a nécessité le plus souvent, de parler la crise en équipe, pour prendre au mieux conscience de la mise en œuvre d’un mécanisme de projection et de nos propres réactions.

Je voudrais faire état dans ce cadre là, d’un événement vécu. Lors d'une discussion avec un petit groupe de patients à l’H J, autour d’un thème d’actualité ; "le pétrole et les énergies nouvelles", le calme régnait, il n’y avait pas de problème, sauf un que je n’avait pas repéré. Un de nos patients n’était pas bien ce jour là.

Quand il est comme çà, il ne supporte pas le moindre désaccord avec son opinion, comme si son image alors écornée, l’était de manière catastrophique. Parlant du moteur à eau qui pour lui relevait du "charlatanisme", j’ai simplement dit par deux fois que je me souvenais d'articles opposés à son point de vue. Cela a suffi pour déclencher l’explosion de ce patient qui m’a laissé abasourdi. Il n'était plus possible de discuter et j'ai donc laissé pleuvoir les insultes. Il s’est levé, a dit au revoir aux autres et il est parti très rapidement en claquant la porte.

Devant une telle violence à laquelle je ne m’attendais pas du tout, j’étais assez mal sur le moment et nous en avons discuté entre collègues. Ma collègue présente m’a tout de suite ré-expliqué que ce patient devait avoir été contrarié fortement antérieurement, puisqu’à son arrivée il avait "sa tête des plus mauvais jours ". Elle le connaissait depuis de longues années et elle m’avait rappelé que ce genre d’orage s’était produit plusieurs fois avec ce patient, particulièrement face à son père. Chez ce dernier, il en arrivait à casser divers objets.

Depuis mon arrivée à l'H J, c’était la première crise que je lui connaissais. Avec les explications que de nouveau m'apportait ma collègue, j’ai commencé à me sentir mieux parce que je ne me sentais plus"la personne visée "fondamentalement. Dès lors, j’étais prêt à reprendre l’événement avec lui dès le lendemain. Nous ne pensions pas pour autant qu’il reviendrait de sitôt parce qu’en général il culpabilise beaucoup et son absence peut durer plusieurs mois.

Le lendemain matin il s’est rendu à l'H J de bonne heure et il s’était calmé. Il a répondu à mes salutations et il a tout de suite accepté l’entretien que je lui ai proposé. Il a de lui même analysé la situation telle que nous autres soignants la voyions. Il se connaît bien et il m'a expliqué que "parfois c’était plus fort que lui".Qualifiant son comportement de "débordement",il s’est excusé. Il a rajouté que ce genre de crises lui arrivaient lorsqu’il était avec son père.

Lors de la réunion de synthèse, la première remarque que me fit le médecin concerna le parallèle entre la position de son père et la mienne dans l’unité. Depuis un an aucune autre crise ne s’est reproduite avec ce patient dans la structure, du moins pas à ce point. Il fait preuve jusqu’à présent d’une certaine capacité à se contenir. Pour ma part je fais plus attention à mon observation à son arrivée et je n’insiste pas du tout lorsqu’il n’est pas très bien, en cas de désaccord. De son coté il peut aujourd’hui confier plus facilement, et aussi plus rapidement, ce qui le fait souffrir, ses contrariétés rencontrées à l’extérieur, même si fondamentalement il n’a pas changé.

Cet exemple parmi d’autres, m’a confirmé qu’il est nécessaire de s’interroger sur ce qui s’est produit dans les situations rencontrées. C’est par un travail de réflexion en équipe que le sens est construit, reconstruit, nous est (re) donné, restitué par l’autre, au moment ou nous en avons besoin.

Le sens d'une situation de crise permet ainsi que cela s’est passé, la reprise de ce moment particulier, entre soignant et soigné, et la continuité de la relation thérapeutique. Par la suite, il n’y a plus du côté du patient de vécu conflictuel de la relation. Le plus souvent nous avons fait le constat que de tels dépassements de crise sont fructueux pour le patient, et aussi pour les soignants.

La mise en sens de telles situations se poursuivra, s’affinera.

Prendre conscience au mieux des phénomènes de projections des patients, de la nature de leurs attaques, et aussi de notre propre positionnement, de nos propres réactions dans la relation, nous permet de ne plus être pris, ou de rester pris, dans des contre-attitudes spontanées telles que la paralysie, à cause d’un sentiment de culpabilité réactivé par exemple, ou bien au contraire, dans des envies de ripostes empreintes d'agressivité.

Il ne s’agit pas que le patient nous vive comme voulant s'imposer face à lui. Pour cela les situations doivent être parlées en équipe. Nous ne pouvons pas non plus dire et répéter seulement, que les soignants ne sont pas tout-puissants.

Dans la communication, la relation, nous devons nous garder d’être intrusifs, ou à fortiori "inquisiteurs". La relation d’aide nous semble être une base initiale, pour que nous puissions nous tenir éloignés d’une position de pouvoir vis à vis du patient.

Pour autant universelle et nécessaire dans l’exercice professionnel en psychiatrie, la relation d’aide n'y est pas suffissante.

E- INTRA-HOSPITALIER: LOGIQUE INSTITUTIONNELLE ET SOINS

Avec le recul d’une dizaine d’année dans une unité d’admissions, nous avons pu constater: à la foi une modification des pathologies et des problématiques de soins, mais aussi une augmentation de la demande d’hospitalisation.

Une aggravation des troubles s’est fait jour dans le sens ou une prédominance des troubles psychotiques a été mise en évidence. La durée du temps d’hospitalisation s’en trouve accrue.

Comment faire face à cette demande ?

A LIMOGES l’accueil "urgences psychiatriques" se fait directement au CHRU (équipe d’infirmiers psychiatriques et cadre infirmier psychiatrique). Les urgence somatiques sont réglées avant que le malade nous soit adressé dans les différentes unités tout en respectant si possible le secteur géographique.

Bien entendu le problème se pose pour nous lorsqu’il y a impossibilité d’accueillir les patients dans le secteur dont ils dépendent. Le nombre de lits nécessaires pour mettre en place directement une politique sectorielle, s'avère insuffisant. Le patient est hospitalisé là où il y a de la place.

Déposer son histoire en un lieu, demande au patient des efforts parfois douloureux, de surcroît s’il doit rééditer cette épreuve. La logique institutionnelle tendrait à l’imposer de plus en plus. Le risque évident est qu'à force de répéter son histoire, le patient, -à un moment donné-, va finir, soit par se taire, soit par s’exprimer à travers une forme d’agressivité accrue. Il peut d’ailleurs en aller de même pour son entourage. De cela peut découler parfois une augmentation de son angoisse, voire une aggravation de sa symptomatologie.

La considération du malade serait elle réduite à un lit ?

Le soin devrait il être réduit aux seules dimensions du "savoir-faire" et de "l’agir" ?

A l’endroit où le patient a déposé une part de son histoire, une partie du sens de sa vie est inscrite en ce lieu.

Mais il arrive que certains patients ne veuillent plus changer de service lorsque le lit se libère. Cette réaction, fort compréhensible par ailleurs, fait naître des dysfonctionnements institutionnels, à savoir: pourquoi continuons nous l’accompagnement de certains patients ?

A contrario certains services tardent à accueillir des patients un peu plus difficiles et l’on peut assister au décours de plusieurs hospitalisations, un cheminement sur plusieurs secteurs tout en évitant le secteur concerné. (cf "les sectateurs du secteur" P.LEMOINE-revue SYNAPSE- septembre 2005.)

Au delà d'une première hospitalisation le patient a besoin en général de conserver ses relations avec les soignants qu’il connaît (cf PIERRE DELION revue ETRE no 4041): "nous disons qu’il est souhaitable que la constellation transférentielle reste la même".

Même si la politique de secteur comporte certains écueils, elle n’en demeure pas moins fort intéressante. Elle permet de prendre en compte les différents éléments de la problématique, au plus près du lieu de résidence. Une équipe extra hospitalière peut intervenir au domicile.

Mais ne sommes nous pas en train de subir les effets négatifs de cette politique qui a peut-être cru à moment donné faire l’économie de l’hôpital vécu comme asilaire, avec une fermeture de lits poussée un peu trop loin?

A LIMOGES , nous allons connaître le second passage de l’accréditation -certification- l'an prochain. S'intéressera-t-elle à la question du nombre des lits nécessaires sur l’établissement pour la garantie d’une qualité des prises en charge du point de vue précédemment évoqué, pour une continuité relationnelle dans la cohérence?

F- CONTRAINTE ECONOMIQUE ET PRISE EN CHARGE EN EXTRA-HOSPITALIER:

-Diminution des places et nécessité de prendre en compte les risques encourus relatifs aux prises en charge-

Je voudrais vous faire part d’un exemple de décision ou la contrainte économique a été déterminante.

Dans mon service il a été décidé de rassembler les deux H J de psychiatrie adulte, en un seul, pour récupérer deux postes d’infirmiers pour l’intra, et aussi en regard des taux d’occupation plus bas que d’habitude en 2003.

Lors de réunions organisées au sujet de ce rassemblement déjà décidé, nous avons exposé nos arguments relatifs à notre souci de la continuité des prises en charge, et à propos du travail d’étayage pour d’autres personnes soignées qui viennent au CENTRE D’AIDE PSYCHOLOGIQUE en accueil thérapeutique à temps partiel.

Dans ce projet de restructuration, il est prévu qu’un certain nombre de patients soit attribué à un autre secteur avec lequel nous avons une fédération commune, mais dont l’ensemble des places est actuellement occupé, ce qui pose un problème d’arithmétique pour la gestion de l’affaire.

Ce qui intéresse au premier chef les soignants des deux hôpitaux de jour, c’est qu’aucun soigné ne soit laissé de coté, et nous nous retrouvons quant à nos inquiétudes, en accord avec le Dr CHABANNE qui nous dit dans une brochure du laboratoire JANSSEN: "Tout schizophrène,- pourquoi pas tout psychotique ? dirons nous  - peut vivre tout changement de lieu d’hospitalisation, de la famille à l’hospitalisation, comme une source de stress, voire d'agression, qui peut occasionner décompensation et/ou repli autistique.

A l’initiative du médecin responsable de l’unité, nous avons débuté un travail de construction du nouveau projet. Nous nous sommes questionnés sur l’objectif actuel d’un H J. Nous pensons que pour l'essentiel il s'agit de viser la réintégration sociale du patient avec ce qu’elle requiert de capacités à prendre en compte l’autre. En ce sens l’orientation générale de la prise en charge soignante visera la diminution des angoisses et de la dépendance de la personne.

D'autre part, pour la réintégration sociale, des structures socio- sanitaires pourvues des moyens nécessaires, nous paraîtraient les bienvenues pour aider les patients à rompre leur solitude, du moins pour ceux qui seraient capables de s’y adapter.

En effet, L'H J nous semble être vécu par les patients, comme un lieu de soin, d’étayage, et de vie en groupe.

Dans la construction du nouveau projet, nous avons intégré comme priorité l’objectif de maintenir le lien grâce à l’accueil thérapeutique à temps partiel, pour tout patient risquant de décompenser ou de se replier sur lui même.

En tout état de cause, la qualité de la prise en charge ne passera pas par des chiffres, mais par notre vigilance, notre écoute, notre attention et notre réflexion collective, sur le vécu, les réactions des patients, à l'annonce du changement. A ce propos nous devrons certainement mettre en place un dispositif de suivi à plus long terme.

III –TEMPS D'ELABORATION ET D'APPROPRIATION DE SA PRATIQUE PAR LE SOIGNANT:

A- L'EXEMPLE DU GROUPE DE RECHERCHE:

-Intérêt de laisser le choix du thème au soignants
-Nécessité de la distance
-Importance du tiers
-la relation et la mise en sens:

Un groupe de recherche a été créé en Mars 1989 sur proposition de l'Infirmière Générale. L'objet poursuivi était "la délimitation du rôle propre de l’infirmier psychiatrique et la mise en valeur de ses particularités". Le travail de ce groupe s'est achevé en 1995. L'Infirmière Générale avait laissé le soin aux volontaires de préciser le thème de la recherche. Avoir eu ce choix a été très important dans la mesure ou nous nous sommes centrés sur ce que nous désirions étudier, mettre en évidence, à savoir la spécialité du soin en psychiatrie. Cette liberté de choix a été une première condition favorisant notre investissement dans ce travail de réflexion collective, qui a occasionné une certaine appropriation de notre pratique. A la recherche de certitudes, au début, nous n’étions cependant pas animés d’une volonté de "protocolisation".

Pendant plusieurs années nous avons mené un travail de pensée collective assez vaste, qui nous ramenait immanquablement aux situations professionnelles vécues par le passé ou plus récemment. Dans le sous–groupe ou je me trouvais, nous avons mené un travail sur la base d'une enquête par interviews auprès d’autres collègues infirmiers de l’établissement, à propos des stages de formation continue demandés, et suivis.

Cette étude, nous a conduits à parler de certains thèmes que nous rencontrons dans la pratique soignante ; telles que la difficulté à faire un travail de deuil, ou bien d'autres difficultés par exemple, liées au narcissisme.

En psychiatrie, peu de soins techniques, viennent faire élément tiers entre soignants et soignés, mais aussi entre les soignants, en comparaison des soins généraux. Dans les soins généraux la dimension relationnelle n'en est pas moins importante.

Par ailleurs, nous avons vécu dans le groupe de recherche "un blocage" ayant trait à l'analyse de contenu de nos interviewes. Une partie du groupe vivait l’analyse des propos de l’autre comme étant une "attitude interprétative", "une effraction de son psychisme", "un jugement de valeur". "L'autre partie du groupe considérait qu’il s'agissait d'une étude sensible et ouverte où, quelques soient ses propres barrages, pouvait être entendu et reconnu le message donné par l’autre ".

Par le fait de ce blocage, "l’angoisse d’éclatement du groupe nous a fait solliciter la médiation d’un psychosociologue".

Or dans la pratique en psychiatrie, il ne va pas de soi pour le soignant de faire abstraction de ses propres barrages pour entendre et reconnaître le message donné par le patient. Il aura à travailler en équipe la question ce message, il s’apercevra qu’il a peut être rencontré un obstacle dans son écoute.

D’autres blocages relatifs au travail en équipe, ont été rejoués dans ce groupe.

La présence et la participation du tiers qu’était le psychosociologue nous permettaient de les analyser et de les dépasser.

Dans une équipe, le cadre est souvent amené à tenir ce rôle de médiation. Le cadre peut apporter des éléments de comparaison permettant de réfléchir sur un conflit, de prendre de la distance et d’effectuer une mise en sens.

Le soin infirmier en psychiatrie est un travail d’élaboration permanente. Nous avions énoncé que: "Cette élaboration indissociable du rôle propre s’apparente au cheminement de la recherche où le travail de réflexion nécessite de quitter des certitudes… etc…,". Aussi: "La difficulté d’analyser la relation soignant-soigné et les interrelations des soignants autour du patient repose sur le fait que cette recherche amène à découvrir quelque chose de soi à travers son implication et son ressenti personnel auprès du malade". Nous construisions du sens, nous avons convenu que ce qui le permettait, c’était la distance occasionnée par le lieu éloigné de nos unités et le groupe lui-même. Chacun y était à distance de son équipe et de ses situations professionnelles rencontrées. L’activité de la pensée en était facilitée même si ce n’était pas suffisant.

Dans le champ des soins généraux comme dans celui de la psychiatrie, le soin est global et relationnel. Il se compose de soins somatiques et relationnels, dans des proportions différentes.

Ce qui nous a semblé être propre à la psychiatrie, c’est le fait de soigner des troubles de la relation, avec la relation elle-même, dans laquelle ces troubles sont forcément ( re) mis en jeu, mettant en question aussi les soignants quant à leur propres modalités relationnelles. Tout est question de relation: l’objet des soins et l’outil des soins. Les sujets, soignants et soignés sont pris dans cette relation chacun dans leur rôle. Or de la même manière que J. HOCHMANN nous a rappelé que ce sont les soignants qui vont donner par leur travail de pensée une dimension thérapeutique, par exemple à un repas, qui ne saurait d’emblée en avoir, il en va de même pour la relation. En effet, prise en elle même une relation est une relation, et ce n’est qu’en prenant conscience du rôle que le patient lui attribue à un moment donné, ou bien du rôle qu’il s'attribue lui même, mais dont il faut s’extraire, que le soignant arrivera à donner à la relation une dimension thérapeutique. C’est en se situant dans la relation, en sachant ce qu’il y fait, que face aux attaques du patient psychotique par exemple, le soignant peut être "indestructible".

Cette transformation de la relation en une relation thérapeutique, relève du travail de la pensée collective des soignants. Des rôles attribués aux soignants par eux mêmes, mais aussi par les soignés, échappent souvent à la conscience et ne sont donc pas toujours faciles à mettre en évidence.

Avoir à soigner les patients dans leur rapport au monde et à eux-mêmes, à leur pathologie, à leur traitement, est quotidien en psychiatrie. Ces différents rapports du patient vont se retrouver dans la dynamique relationnelle du lieu de soin.

La mise en sens de la relation soignant-soigné au regard de tout ce qu’elle implique, et de tous ceux qu’elle implique, ne peut être éludée. Nous avons vécu le travail du groupe de recherche comme essentiellement formateur parce qu’il nous a confrontés aux difficultés liées à la nature de l’élaboration dans la pratique quotidienne des soins en psychiatrie.

B-PARTICULARITE DE LA REGULATION:

Un travail de régulation pensé et organisé par l’ensemble des personnels soignants d'une unité de soins obéit à une règle fondamentale: "avoir envie de se parler", en un temps et en un lieu reconnu comme étant un réel temps de réflexion et d’élaboration, avec pour écoutant un psychologue extérieur à l’institution.

Avoir envie de se parler: à soi ; pour réentendre autrement et en écho les émotions qui savent si bien nous envahir dans ces rencontres humaines avec un Autre hospitalisé.

Avoir envie de se parler: aux autres ; collègues de l’unité avec lesquelles nous devons, suivant les moments et les contextes, savoir faire alliance, compromis, afin de maintenir le cadre de cohérence si nécessaire à la continuité des soins engagés.

Une des particularité de la régulation est d’être suffisamment permissive pour pouvoir énoncer les limites que l’on se fixe à soi même dans son exercice professionnel. Limites par rapport à la violence, de soi, des autres, soignants-soignés, limites par rapport à ma capacité à recevoir ces pensées et ces histoires de vie si chaotiques qui font que le soin psychiatrique existe.

Les essais de compréhension, la recherche de sens

des activités soignantes, des difficultés rencontrées pour se maintenir à un soin de qualité supportable pour les professionnels que nous sommes ; tous cela compose le temps de la régulation.

Au décours de toutes ces années, j'oserai affirmer aujourd’hui que la particularité essentielle de ce temps est la quête formulée, explicitement ou non, du fait de savoir peut être un jour pourquoi nous avons choisi ce métier ; quelles représentations nous en avons et quelle place nous y occupons.

Il s’agira en somme de comprendre le sort des investissements narcissiques dans l’évolution des échanges existants entre le patient et le donneur de soin que nous sommes.

A chacun sa ou ses réponses dans son "possible".

Il semble acquis que chaque rencontre nous modifie, faisant passer un peu de l’autre en nous, elle renouvelle notre regard, accroît nos capacités d'ouverture et de désirs.

Est ce qu’il ne serait pas question de ce voyage, dans les interrogations du fait humain au fait psychiatrique?

IV- CONCLUSION:

L'apport de liens symboliques doit permettre au patient d’opérer une intégration de sa partie malsaine à sa partie saine.

Le manque de connaissances en psychopathologie, de recul par rapport à la confrontation à la pathologie mentale dans une situation de soin, dus à une insuffisance d'appropriation de sa pratique par le soignant, et à une insuffisance des capacités du soignant à s’approprier sa pratique, nous laissent à penser qu’une spécialisation en psychiatrie est nécessaire.

Par ailleurs nous avons fait part de notre avis sur la formation à la relation d’aide, tout à fait adaptée à notre exercice professionnel, mais non suffisante.

Nous pensons avoir perçu en quoi consistaient les conséquences négatives de la pression économique sur la prise en compte de la dimension symbolique dans la pratique des soins. La diminution des moyens -lits, places, formation…etc…- entraîne à son tour des morcellements, des réductions, voire des ruptures du soin.

Différentes études ou enquêtes, le plus souvent relatives aux priorités ministérielles, s’affirment être dans l’esprit d’un "management participatif". Qu'en est il pour ces choix, de l’avis des soignants ?

Il serait peut être avisé de demander à ceux-ci quels sont les moyens et les conditions leur paraissant nécessaires à une pratique de qualité, et sur lesquels il conviendrait certainement de porter un regard collectif.

Nous dirons avec DANY-ROBERT DUFOUR, que "face à la dérégulation symbolique", "face au dégâts moraux dus à l’extension du règne de la marchandise, ce serait une erreur cruciale que d’abandonner le débat sur les valeurs…", à d’autres.

En psychiatrie, la personne dont nous avons à prendre soin, à la fois semblable à nous et différente, doit être considérée dans sa singularité et sa globalité. Elle mérite pleinement que nous fassions le choix de ne pas abandonner le débat autour de cette éthique infirmière à fonder et à développer, support de sens pour l’exigence d'une pratique soignante qui ne contourne pas le FAIT HUMAIN, et pour l’exigence des moyens qui lui sont nécessaires.

 

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Initiative:    Le groupe de réflexion bordelais
Le collectif National de mobilisation en psychiatrie (CNMP)
Le Centre d'étude des formations infirmières et des pratiques en psychiatrie (CEFI-PSY)