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Bordeaux, 1995: HISTORIQUE DES ASSISES DES INFIRMIERS EN PSYCHIATRIE ET EN SANTE
MENTALE
HISTORIQUE DES ASSISES DES INFIRMIERS EN PSYCHIATRIE ET EN SANTE
MENTALE
Assises de Bordeaux, 19 novembre 2005, Marie-Paule Perier
En juillet 1992 est né le mouvement des Assises, à Bordeaux.
A l'appel du Groupe de Réflexion Bordelais (GRB), émanation de l'Ecole
des cadres de Charles Perrens, dont sa directrice, Eliane Mercier, qui est décédée en
1996 et Jean-Yves Cazaux.
Je veux encore rendre hommage à cette grande dame de la psychiatrie.
De nombreuses associations du champ psy et mouvements de mobilisation
étaient présents ce jour là: Collectif National de Mobilisation en psychiatrie (CNMP),
Coordination Infirmière, les Cemea, l'Ascism, le Cefism, d'autres encore à titre
personnel.
L'heure était d'importance: en mars 1992, le ministère de la santé
venait de donner le jour à un nouveau diplôme infirmier, unique et polyvalent, qu'il
renonça très vite à appeler DUPE... . Ça faisait tâche!
Ce nouveau DEI, était accompagné de mesures dites
"transitoires", concernant les laissés pour compte de ce nouveau diplôme, les
infirmiers de secteur psychiatrique.
Ce jour là, en tout cas, de juillet 1992 sont venus ceux que j'ai
évoqués précédemment et ceux qui y sont encore: le GRB, le CNMP, et le CEFISM, devenu
depuis CEFI-PSY.
LES ACTEURS
Plusieurs histoires vont s'entrecroiser, s'enchevêtrer parfois, au
final s'enrichir, celles des différents courants qui nous constituent en tant qu'Assises,
car 1992 est une date carrefour à laquelle vont se rencontrer, et ce n'est pas banal,
ceux des écoles et des associations, et ceux de la mobilisation (ces "ceux"
sont beaucoup des "celles").
Le Cefism, devenu depuis CEFI-PSY est à l'époque une grosse
organisation,car il rassemble toutes les écoles d'élèves infirmiers en psychiatrie. En
1992, il perd 80% de ses troupes, car c'est sur le dos des écoles sur site psychiatrique
que va se bâtir le nouveau paysage de la formation infirmière.
Un organisme de formation sort grand vainqueur de ce combat, qui est
également un gros enjeu financier, le CEFIEC.
Concomitamment, le CEFIEC prend parti pour des mesures transitoires, pour que les ISP
aient un complément de formation pour l'accès au nouveau DEI, introduisant de ce fait
une hiérarchisation des diplômes infirmiers, déjà présente, ne nous leurrons pas dans
le fait que les infirmiers en soins généraux aient toujours pu exercer en psychiatrie
sans exigence d'une qualification supplémentaire.
Aujourd'hui, que nous parlons, que nous parlerons, formation, formation
complémentaire, formation spécialisée, souvenons-nous, la formation est aussi un enjeu
financier.
Le Collectif National de mobilisation en Psychiatrie est né des grandes
grèves infirmières de 1988.
Dès 1993, suite à l'"Appel du 27 novembre 1993", il réussit à fédérer
toutes les composantes professionnelles de la psychiatrie (sauf les grandes centrales
syndicales, grandes absentes de cette mobilisation historique, exceptés CRC, devenu SUD,
et Coordination Infirmière qui, un temps mèneront le combat du DEI auprés du CNMP) pour
réclamer une reconnaissance des ISP à égalité dans ce nouveau DEI, que d'emblée il
articule avec la reconnaissance des soins dispensés aux patients en souffrance psychique.
Cefiec et FNI occupent et défendent leurs prés carrés et vont exercer leur lobbying
auprès du ministère pour que les ISP n'aient pas accés au diplôme unique.
Les vieilles représentations des soignants en psychiatrie, ont la vie
dure et transcendent les appellations "ISP" ou "IDE".
DES CONCEPTIONS DU SOIN EN PSYCHIATRIE
Ce 12 juillet 1992,c'est la conception du soin en psychiatrie qui est au
centre, c'est ce qu'ensemble nous choisissons de travailler:
Je reprends l'historique présenté à Rouen en 1994 par Sylviane
Hocher:
- Qu'est-ce que le soin en psychiatrie
- Qu'est-ce qui fait notre différence avec nos collègues de soins
généraux
- Qu'est-ce que l'infirmier en psy aujourd'hui
- De quels professionnels, de quelle formation initiale a-t-on besoin
pour travailler en psychiatrie
- Quelle est la place de l'infirmier psychiatrique dans le champ de la
santé mentale..
Ce qui se dessine très vite derrière ces interrogations, ces
questionnements, ce sont les aspirations de toute une profession.
Aspirations nouvelles pour une réelle reconnaissance de l'infirmier
et du soin en psychiatrie, et par là même l'exigence d'une véritable formation pour y
répondre.
Au delà de la mise en extinction d'une profession et le peu
d'heures de psy contenues dans le nouveau programme infirmier, le risque à brève
échéance est de banaliser le soin en psychiatrie, de le médicaliser, de le techniciser,
mettant ainsi en danger la psychiatrie en général, et plus particulièrement cette
psychiatrie humaine, désaliénante qu'avaient conçue ses novateurs, les inventeurs de la
psychiatrie de secteur.
Celle où le malade est reconnu comme un individu à part entière,
comme un sujet, avec une histoire, la sienne, et non pas comme une pathologie à traiter,
un objet recevant des protocoles standardisés, normatifs, applicables à un groupe
diagnostique , protocole type pour schizophrène, délirant, autiste, personne âgée.
Car cette déshumanisation , d'ailleurs si souvent dénoncée dans
les hôpitaux devient une totale ineptie quand elle touche la psychiatrie dont la
particularité est de travailler sur l'Humain, sur le Sujet...
Les axes posés à ce tout début des Assises sont les suivants:
- L'observation de la personne malade: faire la synthèse, déterminer,
comprendre, ce qui est du somatique, du psycho-affectif, analyser les causes, les liens,
..
- le soin auprès de la personne présentant des troubles psychiques, à la
fois dans ses dimensions somatiques, et dans ses dimensions psycho-affectives
- l'utilisation de la relation avec la personne souffrante, la parole,
l'écoute, mais aussi toutes les autres formes de l'accompagnement, les actes de la vie
quotidienne, institutionnelle, toutes les médiations relationnelles sont autant de
situations de soins et donc d'outils thérapeutiques, sans oublier en toile de fond, la
recherche permanente de l'autonomie du sujet
- l'ouverture sur la communauté, la découverte des potentiels d'accueil
et d'intégration dans l'environnement plus ou moins immédiat
- la gestion du paradoxe: la législation nous oblige en effet à gérer un
paradoxe qui fait l'originalité de notre profession: être en même temps soignant et
garde fou de la société, contenir la folie, et la soigner.
UN TEXTE FONDATEUR: Le Manifeste
Ces conception du soin en psychiatrie, c'est ce qu'ensemble nous
choisissons de travailler ce 12 juillet 1992, en plébiscitant notre premier texte, texte
fondateur: "LE MANIFESTE POUR DES REQUISITS DE FORMATION DES INFIRMIERS EN
PSYCHIATRIE ET EN SANTE MENTALE", paru dans le magazine "Soins -Formation"
1er trimestre 1993 sous le titre "Plaidoyer pour des requisits".
En préambule, il dit ceci:
"Quoi quon pense de la réforme des études, des exigences demeurent quant à
la compétence requise pour travailler auprès de personnes nécessitant des soins
relevant de la santé mentale. Et ces exigences concernent la formation initiale des
infirmiers, sans préjuger d'une nécessité d'approfondir ces orientations dans le cadre
d'une formation continue."
Eminemment actuel, il sera question aujourd'hui de formation initiale et
de formation continue, litote , puisque c'est à une spécialisation, comme IADE, IBODE et
puériculture que correspond cette formation continue.
NOS ECRITS ANTERIEURS
Dès février 1993, à Bordeaux, nous avons voulu mettre "le Fait
Psychiatrique" au centre d'une formation infirmière:
"pourquoi le fait psychiatrique doit-il être au centre d'une formation des soignants
intervenant en psychiatrie et en santé mentale?"
En novembre 1993, à Paris nous avons voulu l'inscrire dans une
formation commune, et créer un socle commun permettant d'articuler soins généraux et
soins en psychiatrie, à travers un concept développé par Walter Heesbeen, "le
prendre soin": "le sujet, la reconnaissance de la personne, voilà le concept
fondamental qui doit être notre préoccupation commune, tant du côté des soins
généraux, que du côté de la psychiatrie", tout en réaffirmant
l"irréductibilité du Fait Psychiatrique".
En 1994, à Rouen, le thème de "Maladie et Handicap",
traverse les interventions: De la pédopsychiatrie à la géronto-psychiatrie, il s'agit
de ne pas morceler les pratiques, d'analyser les pratiques de soins psychiatriques, tant
pour l'enfant, l'adulte, la personne âgée, dans la dimension de l'angoisse et du
transfert.
En 1995, à Albi, la "Charte de Formation" est au centre des
Assises, illustrée comme d'habitude d'interventions des infirmiers exposant, analysant,
théorisant les situations de soins: 1995, c'est le sommet de la mobilisation des ISP pour
faire reconnaître l'égalité de qualité des soins entre les 2 exercices infirmiers, les
infirmiers en psychiatrie sont en très grand nombre au rendez-vous.
En 1997, à Limoges, les Assises, posent comme incontournable "le
temps pour penser", et promeuvent comme outil de soin, la régulation et la
supervision.
En 1998, à Lyon, sont tracées les premières ébauches de la
"Charte de l'Exercice Professionnel". Est exposée l'intentionnalité soignante
dans la rencontre infirmier/malade.
POURQUOI LE FAIT HUMAIN DOIT-IL ETRE AU CENTRE D'UNE ETHIQUE INFIRMIERE?
Aujourd'hui les usagers patients se réunissent en association,
s'affirment devant l'opinion publique, comme patients, handicapés, citoyens et sujets.
Ils nous invitent à modifier nos pratiques (ex Loi sur les droits des patients de
mars 2002) et nos écritures dans LEURS dossiers.
La psychiatrie de demain ne se fera pas sans eux.
D'abord, un mot sur nos origines: le traitement moral, initié par le
surveillant Pussin, notre ancêtre infirmier, et développé par le médecin Pinel,
s'origine, en ces temps de Révolution dans la libération du tiers-etat et des esclaves:
désenchaîner les malades mentaux, c'est le fondement du traitement moral.
La psychiatrie de secteur celle de l'ouverture des asiles, 2 siècles
plus tard, naît de l'horreur de la guerre, du lourd tribut payé par les malades mentaux
à l'état de guerre, quand par milliers, ils meurent de faim; des psychiatres
engagés libèrent pour ne pas laisser mourir, et de ce fait inventent une thérapeutique,
l'ouverture de l'asile.
Nous ne sommes pas en temps de guerre ou de Révolution, quoique!
A regarder l'actualité de ces dernières semaines, on puisse se poser
la question!
N'est-ce pas pour beaucoup une guerre économique qui est menée par
l'économie de marché, contre nos vies, celles de nos enfants?
Dany Robert Dufour, article paru dans le Monde Diplomatique, avril 2005
(De la réduction des têtes au changement des corps):
"Le marché récuse toute considération morale, traditionnelle, transcendante,
transcendantale, culturelle, environnementale, qui pourrait faire entrave à la libre
circulation de la marchandise dans le monde.
Les échanges portent uniquement sur la valeur marchande"
Tel que nous le déclare cette belle call-girl qui se loue à la marque l'Oréal
"puisque je le vaux bien"
"Les hommes doivent se débarrasser de toutes surcharges
culturelles et symboliques qui garantissaient naguère leurs échanges."
Les échanges symboliques, n'est-ce pas le cur de notre métier en psychiatrie?
En abolissant toute valeur commune, le marché est en train de fabriquer
un nouvel 'homme nouveau', déchu de sa faculté de juger, poussé à jouir sans désirer
(autre que la marchandise), formé à toutes les fluctuations identitaires (il n'y a plus
de sujet, seulement des subjectivations temporaires, précaires).
"Un certain nombre de psychiatres et de psychanalystes
rajoute-t-il, sont en train d'inventorier les nouveaux symptômes dûs à cette
dérégulation, "DRD parle de dérégulation symbolique ou désymbolisation":
comme la dépression, les addictions diverses, les troubles narcissiques, l'extension de
la perversion, ETC...
On pense ici aux travaux de Dejours en ce qui concerne la souffrance au
travail, les nouvelles dépressions et troubles narcissiques provoqués par la
précarisation, les travailleurs traités comme une marchandise, la question du
harcèlement, qui en France, est souvent étudié comme une perversion.
Pour continuer sur ces questions de la modernité, Ch Dejours quant à
lui pose cette question actuelle "comment font la plupart de nos semblables pour ne
pas basculer dans la maladie mentale, voire somatique, malgré les contraintes qui
s'exercent sur la subjectivité et risquent de la faire voler en éclats?"
"La santé n'est pas un cadeau de la nature, c'est un idéal. La
normalité de ce fait, apparaît comme un compromis entre les maladies physiques et
mentales, lorsqu'un individu parvient à maintenir, malgré ces dernières et leurs
poussées évolutives, un équilibre plus ou moins bien compensé, un compromis moins
décoratif que la santé, mais acceptable et vivable."
CD nous propose cet éloge, peu courant à l'heure actuelle, de la
normalité, nous la proposant comme processus d'appropriation, au sein d'un social qui
confond intériorisation et appropriation, qui propose un passage direct de l'extérieur
vers l'intérieur, niant que "chaque sujet , face à tout déterminisme, biologique,
familial, social, face à ces assignations, produit un travail psychique qui consiste à
interpréter ou traduire ces messages physiologiques, familiaux, sociaux".
La question du sujet
La question du symbolique
La question de l'appropriation,
Sont au centre du fait humain
Sont au centre du fait psychiatrique
Sont au cur de notre travail des Assises
Le Fait Humain, autant que le Fait Psychiatrique sont présents dans la
dimension de la rencontre infirmier/patient, dans le rapport au pathos, à la souffrance,
et à la parole comme médiateur thérapeutique.
LA CHARTE, UNE UVRE ELABOREE COLLECTIVEMENT
La charte de l'exercice professionnel que nous vous présentons
aujourd'hui est le fruit d'un long travail poursuivi depuis 1992.
Malgré les aléas professionnels et personnels, nous avons poursuivi
nos engagements dans une réflexion, qui, vise à fonder une réflexion infirmière, une
éthique infirmière, et qui de ce fait interroge nos partenaires dans les soins,
médecins, administratifs et associations parce que cela nous pose, infirmiers comme
partenaires à part entière, inscrits dans un fonctionnement démocratique: l'infirmier
psy ne peut pas être le simple exécutant d'une technique de soin donnée, de protocoles
standardisés, plaqués, ou encore de conduites à tenir apparentées à un recueil de
recettes c'est "un soin sans recette".
Malgré aléas et évolution des structures professionnelles vers
toujours moins de participation infirmière (exemple de la commission de soins),
Malgré cela notre travail a perduré ...
Il a suivi, pour reprendre une expression de C Dejours, "les
vicissitudes de la pensée qui cherche le chemin de l'appropriation"
En cela, toujours, et dans une réflexion à plusieurs, à plusieurs
voix, celles d'entre nous, infirmiers, cadres, ou formateurs, toujours, cette réflexion
est partie de situations de soins, ou de situations institutionnelles, ou de situations de
formation
C'est à partir de cette pratique d'un soin en psychiatrie que nous
tracions le chemin du soin, d'une théorisation et d'une ré-appropriation de notre
travail, (dans la dimension du projet de soin individualisé et de l'articulation
interdisciplinaire, en coordination et en cohésion.)
Les interventions ont cette origine commune, telle que la relate nos
écrits antérieurs ( la plupart sont sur le site des Assises, http://psyassises.free.fr).
Je pense, en particulier à "La Charte de Formation",
présentée à Albi, en 1995, 10 ans déjà, qui affirme:
"Il n'y a pas de soin sans situation de soin, et il s'agit de
former des infirmiers en psy et en santé mentale capables:
- 1 de repérer et d'identifier les éléments d'une situation de soins
- 2 de construire une situation de soins"
En conclusion,
Pour finir, je voudrai dire ceci:
En 1998, tandis que les dernières Assises Du Millénaire ( ça je vous
prie de me pardonner, j'ai pas pu résister) se tiennent à Lyon, parallèlement se
dessinent les dernières pages du "destin des infirmiers de secteur psychiatrique":
car fin 1999 le Dr BK, déclare les ISP, à 6 mois de formation du DEI
L'écart s'est creusé
Ces luttes acharnées ont nourri, et se sont nourries de la réflexion
menée au sein des Assises, elles sont indissociables,
C'est notre histoire.
Gageons qu'au delà du destin de l'infirmier de secteur psychiatrique,
elle fondera l'histoire originelle et l'éthique, de l'infirmier en psychiatrie et en
santé mentale auquel nous nous adressons aujourd'hui..
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