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Anita Lamothe: L'activité physique et sportive
L'activité physique et
sportive
Comment une activité devient un soin
infirmier
ANITA LAMOTHE Infirmière de secteur psychiatrique (ISP)
CHS, 24700 Montpon-Ménestérol
(4° Assises Nationales des Infirmiers en psychiatrie, Albi 1995)
Depuis ces dernières années, avec la diminution du temps
de travail, le sport est devenu une valeur positive autant sur le plan économique
(vêtement...) que sur le plan culturel (journal...). Linstitution psychiatrique
utilise donc une valeur socioculturelle communément admise pour en faire un médiateur
thérapeutique. Dans cet exposé; nous excluons toutes les activités qui seraient
purement d'animation, éducatives ou pédagogiques, qui ne sont pas notre sujet, pour nous
centrer sur l'activité de soin infirmier définie dans le cadre du soin.
- La prescription médicale en est le premier
élément. Elle est liée comme dans toute médecine mentale bien plus à des cas
particuliers qu'à des cadres nosologiques précis. Si c'est la personne soignée qui
formule la demande, la question est renvoyée au médecin. à l'équipe, en tenant compte
du désir émis. La prescription peut être une activité physique et sportive (APS)
précise ou les APS en général.
- Le projet thérapeutique individuel formalisé dans
le DSI permettra de déterminer avec l'équipe de l'unité quelle orientation
prendre dans une palette d'activités possibles: duelles, collectives, en piscine. en
salle, à l'extérieur (citer programme hebdomadaire). Ce choix est fonction des objectifs
de soins définis selon la problématique à travailler tels que l'acceptation de soi, la
restauration narcissique, l'affirmation de soi, le relâchement de la psychorigidité,
l'image de soi à reconstruire (pour les personnes dépressives), la réappropriation de
la communication, le repérage spatial.
Le cadre des soins
Face à la difficulté d'inscription dans «l'ici et
maintenant», l'étayage sera indispensable de la part de chaque soignant qui intervient
dans la quotidienneté, afin de soutenir la poursuite de l'activité.
L'entretien
L'entretien avec la personne permettra de signifier la
prescription, le cadre (c'est-à-dire les limites, la régularité, la permanence... ),
les objectifs, les détails d'organisation ( par rapport au lieu... ).
En même temps, le ou les thérapeutes seront présentés.
Si la prescription médicale est générale, l'entretien aidera à choisir le médiateur
et, selon la pathologie, en tenant compte du désir (prudence).
Le passage de l'individuel au collectif ou inversement se
fera selon l'évolution de la personne:
- Pour Mme E.L., le médecin avait prescrit yoga (joug:
unir, réunir corps-âme-esprit) dans l'intention d'apaiser un état de tension
maniaque. Il a lieu en petit groupe. L'alternance des postures d'ouverture, de
fermeture et de torsion dans leur égalité semble avoir généralement une
fonction sécurisante pour celui qui se recroqueville sur lui-même ou qui
s'éclate de toutes parts. J'ai dû, pour cette dame, très angoissée, qui
perturbait les membres du groupe, prévoir des séances individuelles
comprenant essentiellement des postures de fermeture, dites apaisantes.
- Pour M. D., hospitalisé pour un état délirant,
nous avons décidé progressivement d'aller vers un travail à l'extérieur dans
l'intention de l'inciter à la communication par le biais du contexte particulier
qu'offre la piscine ; il aimait beaucoup l'eau. Il y est entré très vite, s'est lancé
dans des longueurs, rapide et en solitaire. Pour le ramener vers l'objectif
envisagé, nous avons mis en place une activité ludique, un peu technique, afin qu'il y
trouve sa place de nageur compétiteur ; la communication s'est instaurée avec tout le
groupe tant par le jeu que par la parole qui nous permettait d'expliquer, de situer
dans la réalité.
Les évaluations
Elles sont régulières:
- par des échanges quotidiens avec les équipes soignantes
avant et après l'intervention lorsque je vais à la rencontre des patients et quand je
les raccompagne ; en même temps, le relais est passé ;
- par des réunions de synthèse dans l'unité
- par des réunions de l'équipe pluridisciplinaire (psycho,
art-thérapie,.psychomotricité, médecins, infirmiers); elles permettent de rassembler
les diverses pratiques au service d'un même patient afin d'adapter les attitudes et
de maintenir la distance thérapeutique ; c'est aussi un moment de coordination pour
éviter que les prises en soins aillent vers l'éclatement (Hélène) plutôt que vers la
reconstruction et pour une répartition équitable au cours d'une semaine, c'est-à-dire
trop d'interventions différentes, ou toutes la même journée ;
- par l'inscription régulière des différentes situations
dans le DSI.
La permanence
Les conditions d'évolution vers une amélioration, dans
chaque cas, dépendent du contenu de la prise en soin, mais aussi de la régularité de
l'activité et de la permanence du cadre (c'est-à-dire lieux, soignants, soignés... ),
de la cohérence entre les divers acteurs du soin. Il est bien question de régularité de
permanence et non de répétition du contenu des séances qui n'aboutirait qu'à se
glisser dans la chronicité.
Je reprendrai les paroles du Pr. Hochman lors du Congrès
de l'UNAFAM à Clermont-Ferrand, intitulé «Le Soin Psychiatrique précoce et le devenir
du malade mental»:
«On peut revenir en arrière dans l'espace et cet aller et
retour est indispensable pour forger en nous, la conscience de la permanence des objets
qui nous entourent et la permanence aussi de notre être. Le soin psychiatrique a pour
ambition essentielle de permettre ce genre de chose il a pour ambition d'offrir au patient
des situations qui sont sources d'ouverture et, ensuite, d'aider le patient à élaborer
les émotions liées à cette ouverture». Par exemple, les sensations ressenties en yoga,
les émotions qui surgissent lors de matchs de volley ou foot chez les psychotiques,
figés dans d'autres situations.
La pratique de cette forme de soin, les paroles supposent
que l'infirmière ne soit pas prisonnière d'a priori, ni de stéréotypies dans le
contenu. Elle exige malléabilité, capacité de rêverie de la part du thérapeute pour
ne pas dériver dans des échanges figés.
Nous, constatons, d'une part, que le sport n'est pas un
traitement en lui-même -une technique n'est pas soignante en elle-même- et, d'autre
part, qu'il n'y a pas de soin sans situation de soin.
J'ai eu la responsabilité d'un stagiaire éducateur
sportif. Il faisait son travail consciencieusement, décomposait le sport qu'il
enseignait, l'individu devant enregistrer et évoluer dans la technique.
Soins et situation
À l'inverse, nous soignants faisons évoluer la technique
en fonction de la personne.
Lors d'un match de volley, l'agitation, la
dispersion régnaient. Le ballon qui fusait dans tous les sens, sur les murs, sur les
vitres, s'est trouvé remplacé par un énorme ballon sauteur ; le premier effet a été
de faire rire, lâcher les tensions ; le deuxième a été d'obliger chacun à déployer
beaucoup de force pour passer le ballon aux partenaires. Ceci a contribué à canaliser
l'agressivité sous-jacente, l'énergie débordante et désordonnée et, donc, à apaiser.
Il arrive que quelques patients maîtrisent
la technique mieux que nous-mêmes: Sandrine émergeait d'une bouffée délirante
importante. La prescription étant jeux collectifs, elle est venue jouer au volley. Des
séances extérieures que nous pratiquions à ce moment-là, nous avons repris, pour
l'accueillir, à l'intérieur de la petite salle, contenante et claire. Son attitude
était réservée, elle communiquait par le jeu. Elle était volleyeuse dans son lycée.
Après observation, d'un commun accord (elle et tout le groupe), nous avons convenu
qu'elle arbitrerait. C'est une tâche qui demande beaucoup de concentration. Elle me
consultait du regard, je l'encourageais, la soutenais discrètement. Elle faisait
respecter les règles et ses décisions. L'arbitrage a aidé à réenclencher un processus
de réidentification.
Ma démarche reposait non pas sur l'acquisition progressive
d'une technique mais elle partait de la problématique de cette patiente en l'amenant à
se centrer.
La fonction thérapeutique tient à la capacité de
permettre à la personne soignée de se surprendre elle-même dans sa capacité de
création d'existence en propre. Linfirmier(e) amènera à faire, à être soi-même
avec autrui.
Le travail en piscine
Le cadre de l'activité sera illustré par le travail
en piscine dans les diverses étapes avant, pendant et après le bain. lors de deux
séances hebdomadaires. Elles sont coanimées par un psychomotricien différent pour
chaque séance. Cette expérience soignante repose sur trois axes: le soin psychologique
intégrant une dimension éducative et (re)socialisante. Elle est propice au
réinvestissement du corps. Par ses propriétés physiques et sa nature régressive, l'eau
rassemble plusieurs fonctions: médiateur relationnel, structuration, communication.
«Tous étant dans le même bain», les différences sont abolies et favorisent une
expression plus libre des échanges. L'élément aquatique est là pour contenir.
récupérer une détente est permise. À chaque fois, ce sera avec
- une prise de conscience du corps: l'eau entoure, caresse,
s'oppose au mouvement (il y a résistance) ; nous amenons à ressentir cela nous le
verbalisons
- une ouverture au monde: nager avec, à côté. prendre une
place et aussi respecter la place de chacun.
Elle est aussi utilisée pour dynamiser par le biais de
jeux collectifs (natation-course, gymnastique aquatique... ) qui peuvent réveiller la
notion de plaisir. - Une première séance est proposée à des patients plus
déficitaires qui nécessitent quasiment un accompagnement individuel à tous les niveaux
de l'activité. Le besoin de se restaurer (remplir 'l) à la sortie est irrésistible
(chocolat chaud, café... ). Il contribue au fonctionnement de ce groupe.
La deuxième séance concerne des personnes plus autonomes.
La sortie du CHS, le trajet. le personnel, le cadre (piscine, vestiaire, etc... ), les
autres nageurs (c'est-à-dire le public) sont autant de supports relationnels que nous
exploitons. Nous reprécisons le cadre régulièrement en groupe. Il doit apporter
sécurité par son effet contenant, proposer une enveloppe rassurante, un entourage non
menaçant. Les paroles, les attitudes, le climat, la technique thérapeutique utilisée
font partie de l'enveloppement.
Notre mode d'intervention est déterminé par la
pathologie, le comportement du patient, lors de chacune des étapes. Quelquefois, le
travail doit être interrompu selon le comportement dans la situation. Hélène, 23 ans,
très repliée sur elle-même, avait manifesté de l'enthousiasme lors de l'entretien. À
la piscine, la communication était coupée ; elle s'isolait, se «diluait» dans l'eau:
elle plongeait, glissait sous leau; elle était inaccessible. Il était certainement
trop tôt pour utiliser ce support et, donc, en accord avec les autres soignants et le
médecin, nous l'avons avisée que cette activité serait momentanément arrêtée. Nous
lui avons expliqué cette décision.
Le départ et le trajet
- Pour le départ, chacun plus ou moins soutenu par l'équipe
(selon la nécessité) doit être prêt à l'heure avec tout le nécessaire -et le
pique-nique en été- pour aller vers l'autonomisation, la responsabilisation.
- Le trajet est un moment de transition (35 km en hiver). Il
permet au -,groupe de se constituer. Les personnes entrent en contact avant de rencontrer
un autre milieu, d'autres gens. Il sert aussi à exprimer l'angoisse générée par cette
rencontre. Élodie, la première fois, déversait un courant de paroles comme si l'on
venait d'ouvrir une vanne. Tout était prétexte (un oiseau dans le ciel, une fleur dans
le pré) et tout avait un lien avec son histoire. Nous avons écouté, répondu,
canalisé, contenu. À l'arrivée, elle semblait être soulagée.
L'arrivée
- À l'entrée, chacun s'organise avec la caissière. Quelques
problèmes de gestion apparaissent. Nous devons être vigilants et quelquefois secourir.
J. soutenait à la caissière qu'elle avait payé ; elle pleurait, paniquait. L'une de
nous a dû l'éloigner pour dédramatiser, expliquer, relativiser.
Nous sommes régulièrement amenés à contenir les attitudes provocatrices des patients,
à résister: Jean-Luc n'avait rien laissé paraître pendant le trajet. Arrivé dans le
hall d'entrée, il s'est isolé, disant qu'il ne se baignerait pas avec une attitude dans
la transgression des règles établies (refuse de rester dans la zone réservée aux
spectateurs, veut fumer... ) ; l'état de tension était tel que je lui ai proposé de
sortir marcher avec lui (trois pour encadrer ce jour-là) ; mon refus de le laisser seul a
déclenché une réelle agressivité verbale, des menaces devant les gens présents
(caissière, public), en même temps qu'il entrait dans le vestiaire en claquant la porte.
Nous nous sommes retrouvés au bord du bassin où pendant les trois quarts de la séance,
il a parlé de son vécu abandonnique, mais jamais de sa sortie de l'hôpital qui était
en train de s'organiser, sujet que je savais anxiogène et facteur déclenchant de son
comportement. J'ai orienté le dialogue vers ce sujet. Comme soulagé d'avoir pu
s'exprimer autrement que par lagressivité, sans transition, il m'a demandé un
bonnet disant «je vais me baigner, ça finira de me calmer».
- Dans le vestiaire, nous considérons divers moyens pour
dépendance à l'autonomie.
- Le casier de rangement pour les effets personnels nécessite une pièce et un code à
mémoriser pour l'ouvrir. Nous indiquons quelques moyens de repères que chacun
s'approprie à sa convenance.
- La pudeur du déshabillage, d'habillage dans une cabine. François dont nous reparlerons
plus loin n'avait aucune notion de pudeur, de spécificité du lieu, de la différence. Il
se déshabillait devant tous, semblait être seul, pris dans ses projets. Il a fallu lui
expliquer longuement, l'amener à voir les autres et leur comportement dans le vestiaire.
Actuellement, il a parfaitement intégré le respect des autres et des lieux.
- L'hygiène par le passage à la douche avant le bain. Elle est prise en commun,
naturelle, non contraignante.
L'accès au bain
- L'accès au bassin sollicite la présentation de son corps
face au regard de l'autre, corps souvent meurtri, complexé. Cela implique d'assumer sa
propre image. Mme F. s'enroulait dans sa serviette, entrait rapidement dans l'eau (même
si elle était fraîche) comme pour s'y cacher. Le soutien a été constant dans un
travail progressif. Les paroles non directives de l'infirmière l'ont amenée à resituer
chaque partie du corps dans une recherche d'acceptation de ce que l'on est «ici et
maintenant». Les mots non jugeants, rassurants, l'ont aidée à réinventer son corps.
Elle a doucement démobilisé ses défenses toniques. Elle s'est ouverte à la relation
par une plus grande facilité d'expression de ce qu'elle éprouvait, du style «cela fait
du bien» et libérait les complexes disant qu'elle maigrirait. Elle se resituait dans sa
relation avec autrui et elle-même. Ie travail de réinvestissement, de restauration
narcissique, était interpellé et amorcé.
- Dans l'eau, notre démarche est fonction de chacun et du
groupe. Nous observons d'abord la relation avec l'eau, qui peut varier du plaisir à la
peur ou simplement l'aisance.
La sortie de l'eau
À la sortie de l'eau, il existe aussi différents supports
et situations de soins. Ce moment permet de prendre soin:
- du corps par la douche commune qui rince, réchauffe, masse
; tout le ressenti est verbalisé pour une plus grande prise de conscience ;
- du visage (crème), de la coiffure ; nous nous retrouvons
toutes devant la glace ou le séchoir.
C'est un moment convivial où la parole oriente vers une
relance de la préoccupation de soi, qui peut soutenir quelque chose de l'identité
féminine. Certains messieurs du groupe, qui attendent, ne manquent pas de le faire
remarquer. Dans ces moments-là, il se travaille quelque chose de la différenciation, de
la renarcissisation.
Toutes ces phases sont plus ou moins vite spontanément
intégrées, selon les cas.
Cette activité a lieu pendant les heures d'ouverture au
public, qui est essentiellement adulte, souvent retraité et surtout très chaleureux et
accueillant. Certains se joignent spontanément à nos jeux. Le public participe à la
permanence. L'ensemble contribue à maintenir le contact avec la société ou à le
rétablir.
François: une identification
à autrui
François a 22 ans. Il est hospitalisé en 1987 pour
autisme infantile. Le certificat d'hospitalisation dit enfant prématuré, retard de
langage, quelques mots, attirance pour le feu, myopie très importante. F. est arrivé
dans le service venant du service de pédopsychiatrie. Il savait nager. Nous avons parlé
plus haut de son comportement dans le vestiaire. Il passait son temps sous l'eau, à
regarder dans les hublots. Il avait une capacité à tenir en apnée impressionnante. Ou
alors, il inspectait le tour du bassin dans les détails, le nez collé sur tout ce qui
est rond (pendule, chrono... ). Dans tous les cas, il était isolé du groupe.
Il semblait se questionner quand il était dessous,
cramponné aux hublots, un peu comme s'il cherchait l'issue qui permettait de sortir: sa
situation sous l'eau pouvait-elle métaphoriser le ventre maternel ?
Un jour, nous avons demandé à entrer dans le couloir
réservé aux techniciens pour lentretient et la sécurité. Il permet de voir la
piscine depuis l'autre côté des hublots. François s'y est collé de la même façon, a
observé en détails, vu «à l'envers» avec autant d'intérêt. Ce pouvait être le
conduit qui menait à la sortie, à la naissance, pourrait-on dire ? À chaque étape de
ce travail, nous lui expliquions le plus clairement possible où nous étions, ce que nous
faisions, la place de chacun.
Nous relaterons ici:
L'ouverture au monde: dans le
groupe, son évolution est marquée par un élargissement de son champ de communication.
D'une communication non verbale, il a pu unifier ses différents centres d'intérêt par
la représentation graphique au retour de la piscine. Au début, F. se représentait seul
ou en quatre exemplaires. Après quelques séances, il représentait tout le groupe et
chacun avec son individualité ; il différencie la couleur des cheveux et des maillots.
Par contre, il manifeste une réelle jubilation sur sa propre représentation, dans son
dessin, ou celui des autres. Ses dessins attestent une ouverture accrue au groupe.
Progressivement, dans l'eau ou au bord, il est devenu très désireux d'apprendre à
parler, sollicitant de réelles «leçons de vocabulaire». Il essayait de répéter des
chansons enfantines, en observant de près le mouvement des lèvres de l'infirmière. De
même, sa communication commence à se décentrer des soignantes pour s'adresser à ses
pairs. Il s'inscrit beaucoup plus dans les activités du groupe.
La nécessité de la permanence, la
construction du sujet: il semble prendre du plaisir à se laisser porter,
flotter sur le matelas dans un mouvement qui paraît plutôt régressif. Dans ses longues
immersions, il exprime une immense jubilation lors de sa réapparition. Nous pouvons
penser qu 'il teste sa permanence. Il a un souci prononcé pour la stabilité. Il supporte
mal toute absence dans le groupe ou tout écart par rapport au protocole habituel. Si une
personne ne se baigne pas, il signifie la nécessité de permanence en criant, en se
mordant.
Le moment de rhabillage dans le vestiaire est l'occasion,
devant le miroir, d'expériences et de questionnement par rapport au schéma corporel. Les
changements de lieu, de personnes dans le groupe... causaient de réels bouleversements
avec un retour vers les objets ronds, les trous, l'isolement, quelquefois le débordement
(jet d'objets, vomissements dans l'eau...)
Avec ces périodes de régression, F. a pu intégrer
progressivement les diverses perturbations pour une nouvelle adaptation.
Le travail a été individuel pendant plusieurs semaines.
Maintenant, il nage, fait des longueurs, ne va sous l'eau que lorsqu'il y est invité par
le biais de jeux. Il demande personnellement le matériel qui l'intéresse au maître
nageur. malgré sa difficulté d'élocution. Il a appris à plonger. L'été, il
s'installe sur sa serviette avec le groupe pour prendre le soleil (fait le geste pour
expliquer). Il s'isole rarement, seulement quand nous sommes monopolisés par d'autres.
Pour ce patient, ses progrès dépendent d'un investissement relationnel de sa recherche
d'identification à la façon d'être ou de faire d'autrui. Ce fut un travail évolutif
puisque F., à partir de la prise de conscience de lui-même dans le groupe, a pu
transposer ses acquisitions dans d'autres groupes, dans d'autres lieux, par exemple lors
des rencontres inter-hôpitaux. C'est la deuxième fois qu'il y participe à la piscine du
CHS de Pau. La première fois, il fallait l'inciter de la voix à terminer ses longueurs
lors des courses. Cette année, il avait retenu l'objectif de se comparer à l'autre, de
le gagner, de passer le relais. Il était amusé et riait. Cette sortie avait fait l'objet
d'explications et de préparations avec le groupe, pendant quelques séances. F. parvint,
malgré son handicap, à être en harmonie là où il se trouvait.
Nous pouvons constater que le travail effectué l'a amené
progressivement à se détacher de ses défenses psychotiques.
Madame L: ouvrir une brèche
Mme L., 47 ans, mariée, 2 enfants. Cette dame, clerc de
notaire, a cessé de travailler pour élever ses enfants et «attendre» son mari
médecin. Elle a été hospitalisée contre son gré, pour alcoolisme. Le conflit conjugal
semble important ; le mari précise qu'elle crée une ambiance familiale glaciale. On
notait une personnalité rigide, hyperrnéticuleuse, en un mot obsessionnelle.
Vraisemblablement, sa seule façon de lâcher prise est l'alcoolisation, ce qui la
culpabilise comme pour tout obsessionnel qui s'autorise un plaisir.
Notre objectif était de travailler les limites du corps,
l'aider à en prendre conscience pour accepter de lâcher prise. Je citerai un passage du
livre «Guérir envers et contre tout», écrit par le Dr Simonton: «L'exercice a plus
que des bénéfices physiques ; il peut tout aussi bien produire des changements
psychologiques significatifs. Plusieurs études ont observé que les personnes suivant un
programme régulier d'exercices ont tendance à être plus flexibles dans leur manière de
penser et leurs opinions ; ils ont tendance à avoir un sens accru de leur propre
autonomie, une image de soi renforcée, une meilleure acceptation de soi, moins tendance
à accuser autrui... ont tendance à développer un profil psychologique plus sain en
général». Ceci revient à dire qu'en assouplissant le corps nous pouvons assouplir le
mental. Le corps devient un ami, une source de plaisir.
Le médecin avait prescrit APS en général. Les données
et l'entretien détermineraient laquelle. Au début, elle était très méfiante, refusait
tout en bloc. Avec beaucoup de réticences, elle acceptait un travail en piscine tout en
émettant de nombreuses réserves (mal au dos très en rapport avec sa rigidité, peur de
l'eau).
Lors de la première séance, elle était très angoissée.
Nous avons marché dans l'eau en nous tenant la main, puis les deux mains pour sautiller ;
nous avons varié ces déplacements jusqu'à la sécurisation, tout en l'amenant à
exprimer ce qu'elle ressentait.
Elle s'est entourée d'une ceinture et d'une planche. Il
n'y avait plus de risque de noyade. Pour rester conforme à ses habitudes, elle voulait
tout contrôler, donc, savoir nager immédiatement. Elle se battait avec l'eau, était
hyperactive, s'épuisait, n'avait aucun résultat. Nous lui avons fait prendre conscience
de cette situation et lui avons proposé de se laisser glisser, de se laisser porter. Nous
placions les mains sous le dos pour l'aider à glisser sans mouvements, lui expliquant en
même temps qu'il était plus facile comme dans la quotidienneté, d'avancer dans un état
de calme, de relâchement, plutôt que d'agitation.
Quelques coulées ventrales autonomes ont permis de le lui
faire observer, constater. Nous l'avons amenée à comparer ces deux attitudes et la
différence de résultat. L'attitude activiste était celle qu'elle adoptait dans sa vie.
C'était pour elle un peu comme une révélation. Elle a informé le médecin, le
psychologue. Dans la nuit, après une séance, elle a rêvé de la noyade dont elle avait
été victime étant enfant.
Dès la troisième séance, Mme L. appréciait de
s'allonger, se laisser porter, glisser à la surface de l'eau, totalement relâchée. La
progression est rarement aussi rapide. Cette dame a bénéficié d'un travail individuel.
Le soin infirmier en piscine l'a amenée à ouvrir une
brèche dans la carapace constituée par des défenses obsessionnelles et ainsi à pouvoir
investir un travail psychothérapique. À sa sortie, elle admettait qu'elle pouvait
s'autoriser des activités personnelles, peut-être aller à la piscine «prendre des
cours de natation», disait-elle. Des soins infirmiers extra-hospitaliers viendraient la
soutenir pour consolider ce qui avait été entamé.
La place des activités thérapeutiques
Pour des patients psychotiques, nous nous appuyons sur la
fonction denveloppe, de contenant de l'eau par rapport à une problématique de
morcellement. L'eau avec des patients névrosés soutiendra une incitation à la
relaxation, au lâcher prise de ce corps meurtri et dévalorisé, ainsi qu'une stimulation
et une renarcissisation pour les patients déprimés.
J'aimerais reprendre ici la conclusion du Dr Gabbai, lors
d'une journée d'étude sur les médiateurs organisée par le CHS de La
Roche-sur-Yon en décembre 1992. Il écrit «On se souvient des trois catégories
lacaniennes
- du réel dont on ne peut rien dire ; ainsi le corps
biologique procède-t-il du réel...
- de l'imaginaire que marque une relation duelle et
confusionnante... ;
- et du symbolique qu'instaure l'avènement du langage avec la
triangulation, affirmant le repérage de soi et de l'autre».
Alors, il est clair que les activités à caractère
pédagogique se situent dans le registre du symbolique: c'est un savoir «commun» à
tous, c'est «un corpus social» qu'il faut conquérir... Si nous reprenions l'exemple de
l'eau, il s'agirait ici d'apprendre à nager, c'est-à-dire d'acquérir une gestualité
codifiée, symbolisable et communicable.. Dès lors, où situer les activités
thérapeutiques ?
Nous avons vu qu'il était illusoire d'en escompter quoi
que ce soit au niveau du réel, qui ne soit repris dans l'imaginaire ou le symbolique.
Elles peuvent se situer dans le registre de l'imaginaire... mais restent alors
prisonnières de la fusion, de la dualité spéculaire...
Un autre registre pourrait y répondre, celui à l'oeuvre
dans l'art, le jeu et la poésie: il s'agit de ce que Julia Kristeva a appelé le sémiotique.
Il s'agit d'une modalité expressive, qui n'est pas encore symbolique, très en lien
avec le corps (ses rythmes, ses plaisirs) et avec le champ pulsionnel, s'exprimant selon
les modalités rythmiques, cinétiques, intonationnelles, transgressant les codes
langagiers, comportementaux, picturaux, mais restant communicable, porteuse de sens.
La poésie en est le meilleur exemple, qui préfère la
métaphore au symbole, qui privilégie l'émotion, le pulsionnel, le rythme, le ton, le
musical, qui bouscule le langage et la grammaire.... Tout en restant communicable... (ce
qui fait la différence avec la psychose).
Pourrait-on dire que la modalité préférée des
activités et des médiations thérapeutiques soit le «sémiotique» parce qu'on y
travaille avec et par le corps, ses rythmes, ses plaisirs... et parce qu'on y utilise le
jeu, l'art, la peinture, la musique... et la poésie?
L'expérience montre à ce jour que le médiateur prend
tout son effet thérapeutique dans le respect
- du cadre de soin défini,
- du projet de soin personnalisé, élaboré dans un travail
d'équipe pluridisciplinaire.
Ce soin, évalué régulièrement, s'inscrit dans une
complémentarité des autres techniques de soins mises en oeuvre pour le patient.
Les Activités Physiques et Sportives apportent leur
contribution aux possibilités thérapeutiques en psychiatrie.
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