Sans attendre la
synthèse prévue après la pause, j'ai envie de dire deux ou trois choses tout de suite
et de tenter de les dire à partir de la position qui est la mienne. Je crois que toutes
et tous, nous savons d'une part que nous ne parlons pas de nulle part et, d'autre part,
que lorsque nous essayons de dire quelque chose à propos du lieu où nous sommes situés
et à partir duquel nous parlons, il subsiste irréductiblement une part d'inconnu, une
relation d'inconnu, car il y a du refoulé toujours, c'est irréductible ...
A partir de la position qui est la mienne, j'essaierai donc de
dire, de me risquer à dire deux ou trois choses, en ayant le sentiment de ne pas tout
contrôler et de ne pas être tout à fait au "clair dans ma tête", pour
reprendre l'expression de Jean-Yves CASAUX, à propos de ce que je vais dire.
Et c'est de l'autre, à savoir de tous ceux et de toutes celles
qui voudront bien entendre et peut-être renvoyer quelque chose, que je saurai ce que j'ai
dit. Tant il est vrai que c'est de l'Autre que nous recevons notre propre message sous une
forme inversée.
Alors, en tant qu'universitaire, sociologue en quelque sorte, je
veux dire qu'il existe des problèmes de formation. Ce sont des problèmes cruciaux. La
formation se situe toujours dans un cadre. Jusqu'à quel point nous sentons-nous libres à
l'égard du cadre ?
Est-ce que nous nous sentons totalement libres ? Irons-nous jusque
là ?
Ce pourrait être une illusion, au sens que FREUD dit que
l'illusion est la réalisation imaginaire d'un désir. Mais enfin, à l'égard du cadre,
nous ne sommes pas non plus jamais totalement contraints et un sociologue d'autrefois,
Georges GURVITCH, pour le nommer, avait écrit un ouvrage qui avait pour titre:
"Déterminismes sociaux et liberté humaine".
Déterminismes au pluriel et liberté au singulier, mais qu'est-ce
que nous entendrons au juste par là ?
Alors, en tant que sociologue, je peux dire : quand même, dans
notre société, notre société Européenne en effet, et pourquoi pas aussi les autres,
qu'est-ce qu'il en est aujourd'hui par rapport à ces sociétés de la question de la
folie ?
Qu'est-ce que la folie, qui est intrinsèque à la liberté
humaine, nous dit sur ces sociétés ?
De quoi témoigne-t-elle comme symptôme en ce qui concerne ces
sociétés ?
Comment éclaire-t-elle, à jour rasant, leurs déterminismes ?
Et là, je me dis et je dis publiquement que j'ai une demande à
adresser en tant que sociologue à tous les acteurs sociaux et aux parents parmi eux comme
acteurs, aux soignants, aux saignantes, aux infirmiers, aux infirmières en psychiatrie
notamment,...
Pourquoi ?
Parce que je pense que nul, serait-il sociologue, serait-il
scientiste, positiviste, "tête d'oeuf", n'est capable à lui tout seul de dire
le fait social dans toutes ses dimensions. C'est seulement à partir de la contribution,
à leur place, dans leur différence, de tous les acteurs qui voudront y contribuer comme
dans une élaboration du savoir à 1"'américaine", qu'il est possible
qu'advienne une sociologie critique.
Le Comte de LAUTREAMONT écrivait : "la poésie ne sera pas
faite par un, mais par tous" et MORENO, l'inventeur du psychodrame, entendait que
surgisse une sociologie du peuple, pour le peuple, par le peuple.
Je pense, pour ma part, qu'il existe une exigence inconditionnelle
en ce qui concerne l'élaboration des savoirs sociaux. C'est que, dans leur position, dans
leur place, avec leur différence, les acteurs soient sollicités à y contribuer. Non
seulement les praticiens du champ social, mais universellement l'homme producteur, et la
femme, et l'homme de parole car l'homme a ces deux dimensions : d'être homme producteur
et d'être home de parole et l'un par l'autre. Les soignants ou les administratifs, les
cadres, les psychiatres, chacun dans leur position, les directeurs dans leur position,
sont requis.
Alors, en tant que sociologue, il me semble qu'il existe une
demande en acte aujourd'hui et je crois qu'on n'a de chance de rencontrer l'autre que
lorsqu'on lui adresse une demande et à partir de sa propre différence, de sa propre
position, de sa spécificité. Et j'ajouterai à partir de la position qui est la mienne
ailleurs, celle de psychanalyste, quand des personnes chaque fois singulières m'adressent
singulièrement une demande singulière car il n'y a pas de psychanalyste si ce n'est dans
cette situation-là, s'ouvre alors l'espace et le temps de la "rencontre", dans
la disparité des places da la parole.
Quelqu'un qui dit : "au nom de la psychanalyse, je pense
que" et qui le dit comme ça, sans apparemment y voir malice, est tout simplement un
imposteur.
Du psychanalyste, il n'y en a que dans la "situation" de
la cure chaque fois singulière parce qu'une personne singulière m'a adressé une demande
singulière dont elle ne contrôle, moi non plus, ni les tenants, ni les aboutissants. Et
nous avons alors à nous risquer à faire ensemble, non pas ensemble mais bien dans des
positions où un écart se trouve maintenu, un bout de route "ensemble" dont
nous ne savons pas quand il se terminera, ni comment.
Cette dimension-là "consiste" à sauvegarder la
relation d'inconnu, à sauvegarder la surprise, à sauvegarder la possibilité qu'advienne
du nouveau, une mutation de l'être, où j'aurai été dans mon passé ce que je fais
maintenant ; cette dimension-là est à sauvegarder aussi dans les pratiques saignantes
et, là, le psychanalyste a quelque chose à demander -à l'ensemble des acteurs du champ
de soin en psychiatrie.
Car, j'ai essayé de le dire ce matin, c'est ce qu'on appelait à
l'époque le nihilisme thérapeutique qui a confronté FREUD à la nécessité d'élaborer
sa pratique et sa théorie. Le nihilisme thérapeutique des psychiatres de l'être qui
classaient, qui diagnostiquaient évidemment, et cette littérature psychiatrique
l'incitait à lire la folie, comme nous avons à le faire.
Mais, ils le faisaient dans la perspective de ce qu'on appelait
alors le nihilisme thérapeutique, et c'est parce que FREUD s'est senti questionné par ce
nihilisme thérapeutique qu'il a travaillé et écrit. Il n'a pu se sentir questionné
ainsi que parce qu'il s'est mis à l'écoute des hystériques et ce sont les hystériques
qui ont inventé la psychanalyse.
Cette hystérique qui a dit un jour à FREUD qui avait la main sur
son front "souvenez-vous, souvenez-vous, disait-elle, mais laissez- moi parler".
FREUD avait des oreilles pour entendre et, sur ce point-là, je
m'arrêterai peut-être provisoirement, mais je voudrais ajouter encore deux ou trois
choses parce qu'au fond, à quoi est-ce que nous vous avons sollicités de participer ?
Certes à la lecture, à l'approfondissement des bases fondant les
réquisits, mais ultérieurement à leur élaboration et si nous demandons aux personnes
à qui les réquisits disent quelque chose, même si elles ne sont pas d'accord sur tel ou
tel point, de les signer, c'est parce que nous pensons que cette marque est le point de
départ possible d'une élaboration ensemble.
Cette élaboration, je crois que nous saisissons tous qu'elle
survient à un moment d'une crise, l'affaire du diplôme D.E., une crise qui peut être
vécue différemment par les uns et les autres. La question par rapport à cette crise et
à cette rupture étant de l'éventuel dépassement : crise, rupture, dépassement, comme
on l'a écrit.
Et pour ma part, je pense que la voie de dépassement s'institue
"polémiquement". Voilà une proposition : un lieu de réflexion plurielle et
multiple. Et je pense que, parmi les propositions pour ce lieu de réflexion, il y a la
question des soins généraux et des soins psychiatriques à débattre, dans leur
différence, leur éventuel rapport.
Il y a des situations de soins. Comment s'y repérer ?
Les notions et les concepts n'ont aucun intérêt, si ce n'est de
se repérer dans la pratique. C'est donc aujourd'hui pour un acteur social déterminé de
se décider à assumer une position de demande vers une offre possible, de demande d'une
élaboration plurielle qui constituera et différenciera des savoirs, car c'est seulement
à partir de là qu'on pourra s'ancrer pour résoudre les problèmes de diplômes, de
formation, de lutte revendicative syndicale ou autre. Mais, sans cette réflexion
première, théorique et pratique à partir du concret des situations de la pratique, je
pense pour ma part qu'on n'avancera pas.
Alors, si on pense à la mise en place différenciée dans divers
lieux de France de formations différentes, pourquoi pas ? Voilà qui appartient aux
formateurs et aux autres aussi.
Des modalités de spécialisation, pourquoi pas ?
C'est aux intéressés eux-mêmes, formateurs et soignant qui y
sont décidés, de le faire dans le concret, selon les temps, selon les lieux, selon les
régions, selon les villes, selon l'Europe (pourquoi pas ?). Il faut rêver des rêves qui
changent la réalité.
Nous ne nous "sortirons" de ces questions de soins,
comme de toute autre question, que dans une démarche résolument concrète, empirique,
ancrée dans les situations et les positions différentes, des uns et des autres.