L'autisme et la télévision
Roger Mises
Une dédmtioti des Associations Scientifiques de
Psychiatrie
Au cours des dernières semaines, des accusations graves
ont été portées à la télévision contre les équipes de psychiatrie qui ont en charge
les autistes - enfants, adolescents, jeunes adultes. Ces équipes sont accusées d'une
incapacité totale assortie d'inhumanité ; les défafflances visent tous les membres de
l'équipe, du psychiatre aux éducateurs ; elles portent sur tous les domaines : le
dépistage, le suivi, la coopération avec les familles.
La thèse qui sous-tend ces excès n'est pas nouvelle;
elle repose sur une explication de l'autisme par une atteinte du système nerveux, d'ordre
purement génétique, qui en ferait un simple " handicap ".
Ainsi les enfant autistes devraient-ils être exclus des
approches com-
seules seraient justifiées des éducations,
fondées sur les principes du conditionH.C.) de façon à
apporter une " vrothèse thèses qu'on utilise chez certains enfants atteints de
handicaps sensoriels.
Cette argumentation, par sa simplification extrême,
méconnaît gravement les principes de la controverse scientifique, elle rejette la
nécessaire confrontation entre les contributions provenant des éclairages diversifiés
qu'il convient de porter sur ce problème complexe. Dans ces conditions, les Associations
Scientifiques de Psychiatrie ne sauraient engager un débat de fond, mais il leur revient
de procéder à quelques mises au point :
1)Des parents ont été mis en avant au cours des
émissions télévisées : il ne faudrait pas en déduire que tous les parents
d'enfants ou d'adolescents psychotiques s'inscrivent dans ce courant. Les équipes de
psychiatrie sont particulièrement attachées au développement de la coopération avec
les familles dans le respect de responsabilités incombant à chacune des parties. Des
aides diversifiées sont ainsi offertes aux parents, en fonction des particularités de
chaque cas et en impliquant les membres de la famille, à part entière, lorsque des
décisions importantes doivent être prises. La gestion de certains problèmes reste
naturellement difficile, compte tenu de la pesée exercée dans la vie quotidienne par
l'expression des angoisses de l'enfant et ses comportements imprévisibles, parfois
violents mais, dans ces circonstances, seul un approfondissement en commun des mesures à
adopter permet de choisir les réponses les mieux appropriées; celles-ci exigent que l'on
puisse faire appel à l'ensemble des moyens aujourd'hui potentiellement disponibles, sans
imaginer de recourir seulement à une solution unique. De cet engagement dans un travail
proche avec les parents attestent également les liens établis dans le domaine de la
recherche, par exemple au sein de la plus importante association de parents, la
Fédération Sésame Autisme dont le conseil scientifique réunit des
pédopsychiatres et des chercheurs dont les orientations théoriques couvrent les divers
champs de la recherche fondamentale et clinique.
Enfin, en plein accord avec les parents,
les équipes psychiatriques estiment que dans la règle, à l'approche de l'âge adulte,
les sujets doivent bénéficier d'orientations diversifiées adaptées à leurs capacités
d'intégration et excluant le recours à l'hôpital psychiatrique conçu comme un
simple lieu d'assistance.
2) La diversification des supports mis en place par le
service public de santé mentale et de nombreuses associations répond également au souci
d'adapter les moyens aux problèmes originaux posés par chaque enfant, ressaisi dans le
cadre socio-familial où on le découvre. Dans cette voie, au cours de l'enfance et de
l'adolescence, l'internat n'occupe plus qu'une dimension réduite, même si des places
restent nécessaires, cri nombre suffisant, pour les enfants privés de soutien familial
ou débordés par des troubles graves qui poussent justement la famille à souhaiter, au
moins temporairement, l'aide d'un cadre adapté. En fait, aujourd'hui, la majorité des
sujets sont suivis dans des centres de jour où dans des institutions organisées en
réseau, incluant le recours à des dispositifs spécialisés à temps partiel qui
participent notamment au développement de l'intégration scolaire. Les perspectives de la
sectorisation sont ainsi respectées : intervenir en privilégiant les mesures
ambulatoires qui permettent de maintenir l'enfant au plus près de son milieu naturel et
en lui donnant accès aux dispositifs qu'utilisent les autres enfants ; ceci implique
d'ailleurs le développement d'un partenariat entre les équipes de santé mentale et les
intervenants du champ scolaire et social.
Dans cette voie, l'avènement des centres de jour a
constitué un progrès considérable en rompant avec le dispositif asilaire et en permet
la mise en uvre d'actions multidimensionnelles qui mobilisent des supports
thérapeutiques, éducatifs, pédagogiques dans une visée de réintégration scolaire
puis sociale. Comment, face à ce renouvellement, lancer des accusations qui en font des
lieux inhumains et de renfermement, incapables d'intégrer les progrès réalisé dans
l'approche de l'autisme ? Dans l'une des émissions télévisées, l'intervenante déclare
que seuls quatre services en France sont qualifiés dans l'approche des autistes et que
moins d'un éducateur sur cent est en mesure d'apporter l'éducation adaptée. Ceci est-il
compatible avec les résultats qui, contrairement aux affirmations proférées, sont
évaluées à la fois sur des critères psychopathologiques et sur l'appréciation des
limitations apportées à l'autonomie, car l'enfant autiste présente assurément des
handicaps sur lesquels on peut agir et qu'il faut repérer avec précision dans le
registre des limitations fonctionnelles et des désavantages sociaux. C'est bien ce qui
justifie le recours à tous les moyens aujourd'hui disponibles sans exclusive, et en
prenant en considération les multiples composantes de ces pathologies. Comment les
actions entreprises pourraient-elles susciter des mouvements de réintégration et
l'accès à des apprentissages si la dimension éducative n'était pas pleinement soutenue
: les rapports les plus récents montrent que plus de la moitié des enfants autistes et
psychotiques, traités dans les conditions indiquées, accèdent à une réinsertion
sociale incluant une activité professionnelle - notamment en centre d'aide par le travail
sans compter la disponibilité intérieure acquise qui repose sur d'autres bases que
celles d'un simple conditionnement.
3)Ces faits sont parfois obscurcis par des divergences
d'ordre nosographique. Les attaques portées contre les équipes françaises de
psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent induent en effet notre classification. Celle-ci
est dénoncée pour son non-a4ncment sur la classification nordaméricaine (DSM-IHR) :
cc-ci m exact car la pédopsychiatrie française revendique effectivement une originalité
qui témoigne aussi de sa vitalité et de ses ouvertures multiples ; par contre, on doit
savoir que la classification française (C.F.T.M.E.A.) a établi des équivalences avec la
dixième révision de la Classification Internationale des Maladies de l'O.M.S. de façon
à garantir les échanges avec la communauté internationale. Cette classification,
de ce fait, est parue sous un triple label : le ministère de la Santé, le Centre
Technique National pour les Handicaps et Inadaptations, l'Organisation Mondiale de la
Santé (1).
A partir de là, de nombreuses études comparatives ont
été menées avec les différentes classifications offertes, y compris le DSMUI-R. Elles
montrent l'intérêt d'une discrimination entre l'autisme proprement dit et les autres
psychoses, elles incitent également à ne pas élargir indûment le cadre de l'autisme et
des psychoses car il importe de maintenir les limites vis-à-vis d'autres dysharmonies
graves et évolutives et de certaines déficiences mentales. Ces travaux conduisent à
récuser les chiffres avancés au cours des émissions télévisées : dire qu'il y a en
France 60 000 à 100 000 autistes ne correspond pas à la réalité, loin de là, mais
l'élargissement du recrutement pourrait permettre d'obtenir des résultats d'autant plus
favorables qu'ils concernent des cas soignés des formes centrales, les plus sévères.
Les élucidations souhaitables sur ce terrain - comme sur
d'autre - ne sauraient naître d'invectives et de condamnations sommaires des pratiques et
des recherches en cours dans notre pays ; il importe plutôt de rassembler toutes les
personnes de bonne foi, chercheurs, intervenants du champ médical, éducatif ou social,
et soutenir la pleine coopération des parents à ces approches de façon à réaliser des
études épidémiologiques fondées sur des critères objectifs.
Les Associations Scientifiques signataires de cette
déclaration sont placées dans des conditions difficiles par la forme donnée aux
attaques menées dans les chaînes publiques de télévision et par le fait que certains
parents y sont au premier plan. En dépit de ces difficultés, il fallait rappeler les
aspects positifs des modes habituels de coopération avec les familles et mentionner
quelques repères susceptibles de soutenir la défense des nombreuses équipes de
psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, où médecins, psychologues rééducateurs,
infirmiers, éducateurs, enseignants s'associent dans les actions menées en faveur des
sujets autistes et psychotiques. Faut-il le dire ? Lorsqu'on considère la qualité de
l'engagement personnel et professionnel de ces intervenants, on se trouve confondu par
cette exigence soudaine d'avoir à cautionner leur pratique. On s'étonne aussi du soutien
apporté par les chaînes publiques de télévision au dénigrement du service public de
santé mentale et des institutions associées. Enfin, devant ce déferlement, on se
demande également ce que peuvent penser les parents dont les enfants sont confiés à des
équipes qualifiées d'inhumaines et d'incompétentes - sans que cela suscite d'ailleurs
la moindre réaction de la part des responsables des émissions publique de la
télévision.
Sur le fond, les associations scientifiques rappellent
qu'en l'état actuel des connaissances et des pratiques, il n'est pas ' ié de prôner
l'application d'une méthode éducative exclusive : les recherches scientifiques doivent
étre poursuivies à différents niveaux tandis que la pratique quotidienne appelle le
recours à des modes d'action qui prennent en considération toutes les voies d'abord
concevables dont l'application est généralement modulée de façon souple, en fonction
de l'évolution originale de chaque sujet.
Ont signé ce texte les associations
scientifiques les plus représentatives.
(1) Classification Française des Troubles Mentaux de
L'Enfant et de l'Adolescent, 31 édition, Centre Technique National d'Études et de
Recherches sur les Handicaps et Inadaptations, Diffusion P.U.F., 1993.
Roger MISES
Paris |