Assises nationales des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
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LYON le 05/12/1998
De la Charte de Formation vers une Charte de l'Exercice Professionnel
Lyon, 1998: De situations de soins infirmiers à une charte de l'exercice professionnel en psychiatrie

De situations de soins infirmiers à une charte de l'exercice professionnel en psychiatrie

La dimension de la rencontre infirmier/malade dans la situation de l'entretien

Marie-Paule Perier - CHS Charles Perrens Bordeaux

 La charte d'exercice professionnel doit rendre compte au plus près, de nos pratiques et de ce qu'on peut en souhaiter demain. Elle doit tenir compte de ce que la souffrance psychique et les soins qui en découlent sont un objet de travail partage par bien des professions. Qu'est-ce donc qui fait notre particularité, la dimension infirmière?

au travers des entretiens par exemple se pose la question de la nécessaire différenciation avec les professions qui utilisent ce mode thérapeutique duel, et plus particulièrement avec les psychologues.

 Le cadre de l'entretien pour la loi:

 C'est l'état qui donne à certaines catégories de gens le droit de soigner, par un diplôme et un ensemble de règles.

Pour les infirmiers psy, le diplômé...n'en parlons pas. Mais les règles sont édictées dans le décret de compétences. Selon l'article 4 du décret du 15 mars 1993, l'infirmier est habilite à accomplir sur prescription médicale les actes suivants: entretiens individuels avisée psychothérapique et participation au sein d'une équipe pluridisciplinaire aux techniques de médiation à visée psychothérapique.

 Je vais aborder les dimensions de la rencontre infirmier/personne soignée , dans l'entretien infirmier, en intra-hospitalier, d'une part à travers mon expérience, d'autre part à travers quelques notions théoriques notées ici et là, du cote de chez Bion et de Winicott.

La référence dans mon travail habituel en institution est une prise en soins de patients lors d'entretiens duels, dans un bureau de l'unité de soins, bureau partagé par l'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire. Les entretiens peuvent être ponctuels mais ceux que je relate sont des suivis réguliers. Ces suivis sont décidés en réunions d'équipe, sous la responsabilité du médecin. Il y a des rendus-comptes réguliers lors des réunions de travail mais aussi leur transcriptions systématiques sur le dossier du patient.

Pour Gérard Poussin "toute relation à l'autre induit un risque et implique un danger: le danger d'être atteint par la problématique de l'autre, trop proche ou trop loin de soi, danger d'être pénétré par les contenus de pensées agressifs, être happé par une demande d'amour insatisfaite. Mais il n'existe pas de méthode de compréhension de l'autre qui ne passe par le filtre de sa propre subjectivité, c'est donc une méthode efficace.

Pour Dominique Friard dans "Psychoses, psychotiques, psychotropes", "Le patient est avant tout en relation avec une institution de soins dont le soignant est le garant. Et c'est la place qu'il y occupe qui conditionne la relation qu'il établit avec un patient donné. Chaque soignant est mandaté pour entrer en relation avec les patients, chacun incarne un rôle, une réponse institutionnelle aux problèmes que pose le patient."

Ce qui pose déjà certaines dimensions de la rencontre:

  • l'infirmier est garant de l'institution.
    et mandaté par le médecin,

et ce, quelque soit l'endroit ou il intervient,

  • mais, il a également devant l'institution l'obligation de retranscrire. N'exerçant pas en libéral, il ne peut et ne doit pas le garder pour lui.

Dans la retranscription passe quelque chose des émotions et des affects du soignant qui sont enfin posés. "Il s'agit de ne pas amener chez soi cette partie professionnelle de notre psyché", dit François Lespinasse

 Florence

ou ne pas être angoissé par l'angoisse du patient.

Lorsque je commence à la rencontrer en entre tien dans l'unité de soins c'est parce que je la surprends assise, isolée, inhibée, dévorée d'angoisse, et je lui fais la proposition de mettre quelques mots sur ce qui lui arrive. Il m'a fallu des semaines pour arriver à quelques phrases mais toujours elle est venue. au début j'ai eu du mal â me repérer tant j'avais affaire à des projections d'angoisse intense, indicible "je ne sais pas ce qui m'arrive". Florence exprimait la crainte de me faire mal en me parlant, me protégeait en ne disant rien. au début je me contentais d'accueillir cette angoisse, de donner quelques lignes de repère de ce qu'elle m'avait semblé vivre dans les moments précédant l'entretien, quelques mots ordonnés du mieux que je pouvais, et l'assurer que je ne risquais rien et qu'elle ne risquait rien à parler. J'accueillais ces morceaux de destruction en faisant enveloppe physiquement avec le bureau, mes gestes, quelques mots; je luttai pour ne pas disparaître, consciente que si je succombe à l'angoisse projetée, c'est elle que je renvoyé à l'anéantissement.

Pour Bion c'est l'appareil à penser les pensées de la mère qui permet de contenir les sentiments de déplaisir, les projections destructrices du bébé, qui donne sens aux éléments épars, qui détoxique les contenus angoissés, le temps que se construise son propre appareil à penser.

Si, donc, au départ, un entretien infirmier/patient, c'est du rôle prescrit, délégué, se dessine une autre dimension, qui, elle , ne peut se mandater, qui est d'accueillir dans notre psychisme des morceaux d'angoisse envoyés par un "autre", malade, qui est de lui prêter, temporairement cette partie de nous qui nous sert à penser le monde et la relation que l'on "entretient" avec lui.

Mais, parfois la pratique d'entretiens en institution, relation privilégiée, peut être difficile à articuler avec la mise en oeuvre d'autres actions de soin.

A propos, donc, de la particularité infirmière dans la pratique des entretiens m'était revenue cette problématique:

Ma collègue Andrée, qui dans son travail en extra-hospitalier, m'avait fait part de cette difficulté: une patiente qu'elle suit en consultation infirmière et à qui elle a du faire son injection retard, en l'absence de l'autre infirmière qui, jusque-là l'assurait. Et Andrée d'expliquer la problématique homosexuelle de cette patiente, le transfert dont elle est l'objet et... son immense gêne à faire l'injection.

Dans cet exemple extra-hospitalier certes, mais tout à fait transposable en intra, c'est comme s'il y avait un antagonisme entre le faire infirmier et le dire infirmier, dans l'articulation des entretiens avec les autres actions de soin; ce qui est très différent, au niveau des rôles et places institutionnelles d'avec le psychologue ou le médecin.

Articuler l'entretien avec les autres actes de soin de la clinique infirmière, dans la dimension du projet de soin.

Avec Florence, il y avait une consigne médicale de lui demander chaque jour de nous remettre les lames de rasoir qu'elle collectionnait et cachait et avec lesquelles elle s'était phlébotomisée à plusieurs reprises lors de grandes crises d'angoisse ou c'était pour elle le seul moyen de ""tout arrêter", "voir couler le sang la calmait", mais elle mettait sa vie en grand danger.

Aussi était-ce ce va-et-vient thérapeutique: lui retirer les lames et lui proposer des entretiens pour se dater l'angoisse, aborder la question des lames en entretien et intervenir en allant les chercher dans sa chambre au sortir de l'entretien. elle avait , bien sur la possibilité de mentir, mais au fil du temps je savais lorsqu'elle dissimulait. Au début il m'était difficile d'articuler entretien et collecte de lames de rasoir. Et, bien avant que ne m'apparaisse, lors d'une formation à l'entretien, la cohérence des interventions thérapeutiques entre restaurer l'enveloppe psychique et l'empêcher ensuite de se faire des trous à sa peau-enveloppe, ce furent ces articulations qui devinrent le fil conducteur de mon travail avec elle.( enveloppe psychique et enveloppe physique au travers du travail sur l'anorexie-boulimie, des repas, de l'échange de mots lors des repas, du travail sur l'achat de vêtements, etc...)

L'infirmier ne se trouve pas dans le champ du pur imaginaire et du fantasmatique. Son champ d'action l'implique également dans le champ partagé du réel, des échanges dans le réel, les échanges du corps, de la nourriture, de la toilette.

Et, si, avec Florence nous étions en entretien dans la dimension de repérer, de construire une enveloppe qui puisse contenir l'angoisse, parallèlement, jetais avec elle, comme mes collègues, dans une vigilance, mais peut-être aussi un contrôle qu'elle ne se fasse pas trop de trous à son enveloppe corporelle. Comme un système de poupées gigognes ou les soins de l'endroit bureau ont une cohérence thérapeutique avec les soins de l'endroit chambre, même lorsqu'ils se nomment "fouille de la chambre". Dans cette double dimension de penser ((panser?) et de mise en oeuvre d'autres actions de soin, je reste malgré tout persuadée qu'il y a une nécessaire vigilance à avoir pour rester dans l'articulation, le lien et non pas que ce soit notre personne de soignant qui fasse lien; c'est à dire être vigilant à ne pas occuper tous les endroits du soin pour un patient, là ou l'omniprésence pourrait devenir omnipotence là ou il est nécessaire de ne pas combler, de laisser du vide propice au manque.

Si la rencontre infirmier/patient se situe quelque part (Guillermon dirait "du cote de l'identification projective"), c'est plus du cote du préconscient que de l'inconscient., comme dans mon travail avec Florence ou très directement je travaillai des éléments épars dans l'enveloppe bienveillante (Bion dirait " de mon appareil à penser les pensées"), ou du cote du holding de chez Winicott. Dans la logique du projet de soin= psychothérapie, lorsque Florence abordait ses problèmes de relation avec sa mère, je la réadressai à celui désigné pour le travail de psychothérapie( en l'occurrence le psychologue); je n'abordai pas la fonction interprétative.

Par contre, là ou il y a similitude, c'est dans la position face au patient: le soignant doit repérer les jeux identificatoires et ce qu'il représente pour le patient à ce moment là. Et, dans tous les cas, l'infirmier est amené à travailler le contre-transfert, à maîtriser a minima les émotions suscitées aux évocations du patient.

D.Friard le dit très justement:" il ne s'agit d'ailleurs pas pour l'infirmier de jouer à l'apprenti sorcier, ni de faire de la psychanalyse sauvage, mais de repérer lorsqu'il incarne pour un patient une des figures du passé et de déterminer laquelle. Il doit d'ailleurs savoir qu'il ne fait que se prêter à ce rôle, et cet écart doit permettre au patient de progresser."

Marie Rejablat, infirmière psy, dans son livre, "Voyage au coeur du soin, la toilette", propose cette définition de l'infirmier:"

"Etre infirmier suppose donc savoir se taire, faire le vide de soi, laisser de la place à l'autre...pour ces personnes incompréhensibles ou au comportement troublant...pour lesquelles ne subsistent que des débris épars de vie oubliée, de passé oblitéré, nous nous proposons comme coque creuse et ronde, comme enveloppe chaude et serrée, comme utérus accueillant.

 Post-scriptum

A tant parler d'identification projective, d'angoisse, de garant de l'institution et de mandat du médecin, peut-être ai-je passé sous silence...ce phénoménal désir de soigner pour l'une et de se soigner pour l'autre et. l'admiration qu'au fil du temps je me mis à avoir pour cette patiente, si déterminée à poursuivre les soins même lorsqu'elle y mettait toutes les sortes d'embûches inventées par sa relation pathologique a l'autre.

Qu'elle ait tant cru que ce collectif soignant là pouvait quelque chose pour elle, pour la soigner, a sûrement beaucoup contribué à mon désir de continuer à le faire malgré l'angoisse, les phlébotomies, les vomissements, la drogue, que sais-je encore.

C'est ce moteur là qui a permis à chacune d'être acteurs dans les soins.

 En conclusion

En 1992, le Manifeste pour des réquisit de formation des infirmiers en Psychiatrie débutait ainsi: "Quoiqu'on pense de la réforme des études des exigences demeurent quant à la compétence requise pour travailler auprès de personnes nécessitant des soins relevant de la santé mentale. Ces réflexions ont abouti en 1995 à La Charte de Formation Pour des Infirmiers en Psychiatrie, présentée lors des assises d'Albi.

Aujourd'hui pour mettre en oeuvre une Charte de l'exercice professionnel en Psychiatrie je proposerai ce préambule:

Quoiqu'on pense d'exercices infirmiers en psychiatrie pluriels, cognitivistes, chimiothérapeutiques, psychanalytiques s'il en reste, ou inspirés des psychothérapies institutionnelles, quoiqu'on pense donc de la pluralité de cet exercice, il demeure une double dimension du travail infirmier en psychiatrie:

  • l'objet de travail soin/patient
  • et le 2° objet de travail, incontournable, c'est le rapport que le soignant entretient à cet objet, rapport sans lequel le 1° objet n'a pas de sens. Rapport du désir à théoriser et à mentaliser, rapport à l'analyse collective du contre-transfert etc...

 En bref, quelque soit le credo du médecin chef, jamais on n'évitera que soit mise une parole sur des actes dans l'ici et maintenant, et qui renvoie à un ailleurs, un autrefois et à d'autres sujets.

Marie-Paule Périer - CHS Charles Perrens Bordeaux

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