Assises nationales des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
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LYON le 05/12/1998
De la Charte de Formation vers une Charte de l'Exercice Professionnel
Lyon, 1998: LES DIMENSIONS DE LA RENCONTRE

LES DIMENSIONS DE LA RENCONTRE ...

Michel Donette

Ne faut-il pas avoir des ambitions démesurées pour prétendre faire le tour de ces dimensions avec un S ? N'étant pour ma part ni spécialement ambitieux ni particulièrement mégalo, j'ai choisi de regarder ce thème sous l'angle de l'accueil et surtout de l'accueil sans l'asile.

INTRODUCTION

L'accueil de la maladie mentale s'est longtemps fait dans un lieu ou l'on se mettait, ou plus souvent, on était mis à l'écart de la société : l'asile.

Lors de la seconde guerre mondiale, des psychiatres se sont rendu compte que, en situation d'urgence, des schizophrènes se mettaient à travailler dur comme les autres, ce fut le début de la recherche de nouvelles prises en charges.

Tout ce mouvement de la psychothérapie institutionnelle a conduit à la loi de l960sur la sectorisation: c'est au plus proche de leur domicile qu'il faut soigner les patients. Trente ans plus tard la réforme hospitalière fait du C.M.P le point de départ et le pivot des soins dans la cité. C'est de ce lieu que les infirmiers se rendent au domicile du patient, le mot domicile étant pris au sens large: appartement thérapeutique, associatif maison de retraite, famille d'accueil...

Le législateur a prévu aussi des institutions hors des murs, les plus adaptées possibles à l'état clinique des patients; là ce sont les patients qui se déplacent : Centre d'Accueil permanent et de crise, les Hospitalisations de nuit, Atelier Thérapeutique, C.A.T.T.P, Hôpitaux de Jour dont la vocation est d'assurer des soins polyvalents individualisés et intensifs durant la journée, le cas échéant à temps partiel.

 

 

Le cas de Boris que je vais vous présenter pour illustrer quelques uns de nos problèmes à " accueillir " la maladie mentale est le fruit du travail de deux infirmières, l'une assurant des VAD, la seconde travaillant dans un H de J et moi-même à l'époque infirmier dans cet Hôpital de Jour.

Ce n'est pas la demande de Boris de venir habiter à BERGERAC mais le projet lui convient car il s'insère dans sa visée: travailler aux espaces verts.

Il a 20 ans, il ne peut plus rester à l'I.M.E qui le reçoit, et sa mère ne souhaite pas l'avoir à domicile.

Deux orientations donc à son projet d'implantation :

- une vie autonome dans un studio en ville: pour cela, il a déjà fait des essais avec le service de suite de l'I.M.E. A BERGERAC, ce sera le travail de l'infirmière assurant les visites à domicile de le seconder en ce qui concerne le quotidien;

- une prise en charge à l'hôpital de jour pour l'amener doucement à ce monde du travail auquel il aspire, là aussi il a déjà fait 2 stages en milieu professionnel plus ou moins protégé.

Boris ne se sent pas malade, il n'a pas de traitement médicamenteux et il ne veut pas entendre parler d'hôpital de jour, mot qui nous échappe parfois: c'est au CENTRE qu'il lui est proposé de venir.

Il est le fils unique d'un couple séparé depuis quelques années Un important travail de séparation mère-fils a été fait depuis 1'I.M. E. Il découvre BERGERAC avec un éducateur, puis ensuite avec sa mère qui est aussi sa tutrice, son éducatrice référente et l'infirmière. Ils cherchent ensemble un appartement. Si on le laissait faire le premier serait le bon.. Mais comment choisir?

De sa psychose infantile, nous ne connaissons que ses difficultés relationnelles, son repli et sa méfiance.

Mais nous savons qu'il peut épier, surveiller. Mieux vaut donc ne pas l'installer là ou les propriétaires risquent d'être trop présents et quelque peu intrusifs, bien que remplis de bonnes intentions.

Finalement Boris trouve un appartement dans une résidence tranquille, sa mère le rénove et l'infirmière l'aide à repérer les magasins les circuits pour aller en ville, à l'hôpital de jour ou plutôt au centre de jour...

Il s'installe, fait quelques expériences difficiles: rater le bus pour partir en week-end, emboutir une voiture sans permis avec son vélo... Il raconte cela lors des visites à domicile avec force détails. Mais il ne souhaite pas que l'on s'occupe des courses avec lui et encore moins que l'on mette le nez ou l’œil dans sa cuisine, comme cela avait été prévu au début. A quelle place met-il donc le soignant ? Pas question d'insister on ne peut pas risquer devenir persécuteur.

Dés la première réunion avec Boris au C. P. J. A nous avions invité la personne de l'A.N.P.E susceptible de lui trouver un stage ou un C.E.S et il fallait à nouveau la rencontrer pour confirmer cette demande. Là encore nous ne devions pas trop insister. Boris avait besoin de temps pour "réfléchir" comme il dit. Il répétait aussi que le Centre ne lui convenait pas.

Nous avons décidé en réunion de secteur de lui proposer de nouveau cette rencontre à l'A.N.P.E, le rendez-vous fut difficile à obtenir, et le jour venu, tout le monde lui avait bien parlé de ce rendez-vous et bien lui, il n'était pas là. "Ca peut arriver à tout le monde d'oublier dit-il énervé le nez dans son guidon lorsque l'infirmière le rencontre quelque jours plus tard. Manifestement, cette démarche ne correspondait pas à son état du moment. Il nous semblait bien difficile qu'il puisse s'insérer dans un milieu de travail dit "normal", alors qu'il demeurait en retrait de toute vie de groupe à l'hôpital de jour où il venait de moins en moins comme nous le verrons plus loin.

Le projet devenant de plus en plus flou, nous décidons de faire le point avec Boris sa famille le C.P.J.A et l'infirmière assurant les V.A.D qui se charge d'en parler durant une visite. Ce jour là elle est en retard. Lorsqu'elle descend de sa voiture, Boris sort d'on ne sait où et part en direction du supermarché. Croyant qu'il ne la voyait pas elle le suit et doit même prendre le pas de course. Lorsqu'elle le rattrape et lui parle, il ne répond pas, les yeux fixent, il continue ostensiblement son chemin... Que se passe-t'il ? Nous nous interrogeons... Se sent-il abandonné, ou frustré?. . Ce sont des interprétations... Lui en dira quelque chose lors de l'entretien avec ses parents : "Vous étiez en retard" et nous prenons conscience de l'importance qu'il attache aux horaires.

"les réunions, ça m'énerve" dit-il en arrivant fort tard à celle-ci où sont présents les deux parents. Si la mère pose plus de limites qu'auparavant sans problème, c'est l'affrontement avec le père depuis 2 mois. Tout le monde le sollicite pour qu'il parle plus, dise ce qui ne va pas... A deux reprises son père lui propose des interprétations de son comportement: Boris se met alors les mains sur les oreilles et proteste vigoureusement: Non, ce n'est pas ça". Il semble tyrannisé par une parole qui le concernerait de trop prés. A qui peut-il adresser sa parole pour qu'on l'écoute ?

Il explique ensuite combien il a combattu pour venir au centre, se levant à 5 heures du matin, puis comment il a "renoncé", et maintenant il va falloir "se dégager de la fainéantise" tout un programme que le C.P.J.A l'aide à mettre en œuvre.

Les parents de Boris réunis en cette occasion nous ont en quelque sorte donné mandat pour que nous nous occupions de lui, et Boris semble avoir entendu que nous étions tous d'accord à ce sujet.

Il n'a pas besoin d'aide pour la vie quotidienne, ou il fait un brin de ménage, un brin de cuisine... Que représente les visites à domicile pour lui ? Nous ne le savons pas, il n'en a manifesté quelque chose que lors du retard de l'infirmière - Pourtant sa manière particulière d'ouvrir la porte semble significative : il ouvre tout doucement... Au début, il était littéralement caché derrière la porte, attendant que l'infirmière rentre dans une pièce aux volets fermés avec la TV pour seule lumière, maintenant il laisse la porte ouverte, retourne s'asseoir devant le poste, et les volets sont ouverts . . . C'est par la petite porte qu'il nous laisse pénétrer dans son monde clos, il y va de notre désir d'y entrer ou pas, mais mieux vaut que ce soit à pas feutrés,

Nous avons là un aperçu du suivi à domicile mais qu'en est-il de la prise en charge à l'hôpital de jour ???

A son arrivée Boris est un jeune homme de 20 ans, de petite taille et d'apparence juvénile. Son visage anguleux surmonté d'une chevelure brune plutôt soignée laisse apparaître de grands yeux noirs occupés à fuir le regard de l'autre.

D'allure filiforme, il donne une impression de fragilité contredite par des gestes vifs et toniques, témoignant d'une attitude plutôt sthénique.

Sa rapidité et sa capacité à se faufiler lui permettent de passer inaperçu lorsqu'il le souhaite. Ses mains aux phalanges noueuses sont sans cesse en activité manipulant de façon ritualisée des objets qui l'accompagnent (montre, pompe à vélo... ).

La rentrée de Boris s'est faite de manière progressive. Une première fois accompagné par l'éducateur et un groupe de jeunes de l'I.M.E, il ne put franchir la porte de l'hôpital et resta caché dans la rue le long d'un poteau E.D.F. derrière lequel il disparaissait complètement, pendant que le groupe était en visite. Il fallut trois autres rencontres et un travail d'accompagnement depuis le domicile pour que Boris puisse enfin rentre du bout des pieds.

Les premiers mois, il se présentait toujours avec un objet personnel ramené de chez lui qui médiatisait la relation, puis la qualité des échanges s'est dégradée, en même temps que les objets ont disparus Boris à ce moment là ne répond plus aux sollicitations des soignants même si elles ne sont que de convivialité. Son parcours n'est jalonné que de situations le marginalisant par rapport au groupe de patients et aux yeux des soignants: il évite toute situation de groupe, ne participe pas aux réunions instituées, à peine accepte-t-il les propositions d'activités à l'extérieur de l'hôpital de jour et à condition qu'il puisse se démarquer du groupe allant jusqu'à ne plus venir prendre ses repas à table sans qu'il puisse verbaliser le sens de ses conduites.

Notre capacité à accueillir Boris dans sa singularité est mise à l'épreuve. Les avis dans l'équipe sont partagés: pour les uns ses actes ne sont que l'expression d'angoisses psychotiques dont nous devons tenir compte, pour les autres Boris ne peut s'intégrer à un groupe et donc perd son temps dans une structure comme la notre. En bref ça sent le clivage!!! Voici un jeune homme qui nous désobéit, nous frustre, malmène notre idéal soignant et nous oblige à un travail réflexif préalable indispensable à un travail ultérieur de sa part.

Une rencontre est organisé avec Boris, ses parents et les différents intervenants. C'est l'occasion de mettre en place, d'un commun accord, un cadre de soins dans lequel Boris trouve une place et l'équipe soignante aussi. La prise en charge reprend force et vigueur. Très vite nous remarquons qu'il se réapproprie les décisions prises, peut-être est-ce une manière pour lui de pouvoir maîtriser ce cadre proposé. Il répète souvent: "j'ai réfléchi, j'ai décidé de faire".

Cette maîtrise semble être un élément important qui conditionne la relation. Ainsi Boris tous les jours, arrive en passant inaperçu et s'aménage un moment de solitude lui permettant de prendre pied dans les lieux: "j'ai besoin de récupérer". Il s'assoit et nous nous retrouvons en situation d'accueillis et non plus d'accueillants ; le soir, il fixe l'heure de son départ, toujours la même, 16h20, et n'en déroge pas.

Les échanges avec les autres patients sont essentiellement ludiques et sans limites. Nous sommes à maintes reprises obligés d'intervenir et Boris manifeste alors un comportement agressif à l'égard du soignant, sans passage à l'acte mais sans parole possible. Il semble alors hermétique à toute observation. Ce n'est qu'après plusieurs épisodes similaires qu'i1 pu parler de ses velléités à notre égard. Ceci ne fut possible que par la présence de l'infirmière référente venant faire tiers dans cette relation duelle conflictuelle. Nous avons peut-être là une nouvelle définition "du tiers digne de confiance"!

Cette expérience nous parut intéressante car montrant que notre capacité à accueillir les projections agressives des patients peut permettre à d'autres d'accueillir une parole - expression d'une pensée- restituant le patient dans une dimension communicative plus humaine.

CONCLUSION

L'accueil hors des murs de l'hôpital psychiatrique, c'est un cadre législatif, des lieux des personnels ayant des techniques de soins... mais cela suffit-il ?

Hormis les procédures spéciales d'HID et d'HO, les gens ne sont pas obligés de se soigner, c'est donc leur souffrance ou celle de leur entourage qui conduit à une première consultation et ensuite éventuellement à une autre prise en charge.

Il leur est donc fait une offre de soins, dont ils vont pouvoir se saisir pour élaborer une demande de soins qui leur soit plus personnelle.

C’est là que nous pouvons poser la question de cette offre, de pourquoi nous mettons-nous dans cette position d'accueillir ce monde de la folie auquel nous sommes souvent assimilés au point de faire peur à certains, qu'en est-il de notre désir là ?

Parce que le désir du psychotique lui, il est tranché: soit il est en panne comme dans la schizophrénie, soit il est tout puissant comme chez le paranoïaque; le patient nous met d'emblée à une certaine place... Comment allons-nous endosser cette place sans nous v laisser enfermer, et nous en décaler prudemment. Vous avez perçu ce clivage que fait Boris entre les mauvais soignants à qui on ne peut parler, et sa référente, avec qui la confiance s'est instaurée.

Pour nous " faire les secrétaires de l'aliéné", encore faut-il savoir écouter et écrire, et y a t-il langage plus codé et plus incompréhensible qu'un délire ou qu'un passage à l'acte.

Comment accompagner le patient pour qu'il se mette au travail et emprunte des voies plus pacifiées afin d'exprimer sa souffrance, et calmer ce que nous ne pouvons pas imaginer, quels qu’en soit les récits: hallucinations, sentiment de mort imminente, délire...

C’est là que nous cherchons à instaurer la relation, et il faut toujours inventer des voies nouvelles qui soient au plus proche de la singularité de chacun tout en étant référées à un groupe thérapeutique ou au groupe social de la cité.

Un cadre précis, avec des soignants fixes qui s'engagent dans la relation, un accompagnement modulé au plus proche des indications que la pathologie nous donne, cela suffit-il ? Il nous semble que non, car ces productions qui nous sont adressées, encore faut-il en prendre acte, les recevoir... Là notre bonne volonté, notre bon cœur ne peuvent y suffire. Pour nous repérer, il vaut mieux que nous y travaillons, que nous cherchions des boussoles auprès de ceux qui ont déjà exploré cette logique qui se cache derrière la folie,

Nous n'avons pas tous le même cadre théorique mais nous savons au moins qu'il nous faut des guides pour nous repérer.

Si la théorie est une boussole, nous ne sommes pas seuls sur les flots. Même si le guide méthodologique de planification en santé mentale nous indique que "l'infirmier de secteur psychiatrique intervient au travers des actions psycho-socio-thérapeutiques, éducatives, d'accompagnement dans des démarches d'insertion et de conduite de traitements médicamenteux", nous avons besoin de partenaires pour travailler. Nous n'avons pas à "prendre en charge" tous les aspects de la vie du patient. Il devrait être de nos soucis permanents que tout ne se fasse pas dans le cadre psychiatrique, alors même que souvent les patients nous y pousseraient. Nous avons besoin régulièrement de travailler en partenariat et donc de réfléchir sur la place qui est la notre pour éviter que l'enfermement psychiatrique ne se perpétue hors des murs......

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