Assises nationales des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
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ROUEN le 19/11/1994
Maladie mentale, handicap mental
Pratique des soins en gériatrie

PRATIQUE DE SOINS INFIRMIERS EN GERONTO-PSYCHIATRIE

Francoise POZZAN , Frania PRZEWOZNY

Comme le disait CAMUS dans ses carnets:
"S'il y a une âme, c'est une erreur de croire qu’elle nous est donnée toute créée. Elle se crée ici, à longueur de vie. Et vivre n'est lien d'autre que ce long et torturant accouchement Quand l'âme est prête, crée par nous et la douleur, voici la mort "

"La mort paroxysme de la vie" pensait, lui, DACO

"QUE SONT NOS VIEILLARDS DEVENUS ... ?"

Ces quelques citations glanées rapidement (il y en a d'autres) permettent d'introduire un sujet délicat et difficile celui de la vieillesse en générale et plus particulièrement ce que nous nommons en psychiatrie pudiquement d'un mot plein de sciences GERONTO-PSY

L'importance croissante des personnes âgées et surtout très âgées représente un authentique défi à relever pour notre société actuelle et a venir En effet, de nos réponses, ou de nos-non-réponses, dépendra l'avenir de notre société, et plus même, de notre civilisation toute entière. Elles en seront le reflet, le miroir pourrait-on dire.

Dans une société où trop souvent la personne âgée, en particulier celle qui a perdu son autonomie, est vécue comme un "coût, une "charge, (supporter le coût des retraites) bref dans un non dit général comme indésirable, qu'elles seront nos réponses demain ? Quelles seront celles de nos descendants ?

Et quant, à l'âge, vient se greffer la maladie mentale, majorant ainsi le rejet, et donc l'exclusion d'un monde où elle n'a que trop vécu, tombe alors le verdict d'handicap et de lieux " pour "...

Comment peut-il encore trouver sa place dans ce monde de poupées BARBIES, où tout doit être "propre", "clean", "utile", "concret", "évaluable", "quantifiable" et où LA MEMOIRE, LA PAROLE sont devenu un tube cathodique, que vient-il y faire ce vieillard bredouillant, au corps torturé, qui par dessus tout a cessé d'être productif, donc devenu inutile ?

D'autant que dans une société où ressurgit l'exclusion, la misère et le 'sauve qui peut', ce vieillard sans avenir, au présent incertain ne peut apparaître que comme une charge sociale et financière de plus...

D'autant que, les générations ne vivant plus sous le même toit, éparpillées, souvent séparées, prises dans des obligations, délèguent la prise en charge de leurs personnes âgées, et plus particulièrement celles qui n'arrivent plus à assurer leur quotidien, à des professionnels.

Pourtant, "si l'enfant est fragile, le vieillard est fragilisé"

La vieillesse, étape logique de la vie, génétiquement inscrit en nous, diversement appréhendée selon les cultures est pourtant généralement redoutée par tous : crainte de la dépendance, de la diminution des facultés, de l'efficience intellectuelle, de l'adaptation, perte de la beauté de la vigueur, sans parler de l'approche de la mort, de plus en plus présente au fur et a mesure que le temps passe, fragilisant de plus en plus, rendant de plus en plus vulnérable.

Que d'écrits, de poèmes, de romans, de films, de chansons mettent en scène la vieillesse, la mort "la vieillesse est la plus grande injustice qui soit" (2)

Le fantasme de l'éternelle jeunesse, de l'immortalité à de tout temps fasciné les Hommes. FAUST en vend son âme au Diable. Ne parle-t-on pas de vie éternelle pour venir compenser la perte de la vie?

Tant redoutée, pourtant jour après jour elle arrive et avec elle le progressif ensommeillement des sens, des sentiments, du corps.

Ainsi fragilisé, c'est le plus souvent dans un contexte de solitude de bouleversement, ou d'une situation existentielle difficile qu'apparaissent des comportements irrationnels qui ne sont en fait que la mise en relief de TOUT SENTIMENT HUMAIN JEUNES OU VIEUX, tels que l'angoisse, l'anxiété, la dépression, la régression, les troubles du sommeil, alimentaires, sexuels, la morbidité (perte de l'autonomie mentale, sociale, physique), là, où à travers le délire, le déficit, l'agressivité, la puissance de destruction s'oppose à la vie

Et pourtant ces symptômes ainsi exprimés ont, si on s'y arrête, un sens qui n'ont de valeur que si on les entend, que si on les comprend comme autant de messages qui permettront, peut-être, de renouer les fils, fils d'une histoire, fils de la mémoire, la sienne, mais aussi celle d'une famille, qu'à leur tour enfants et petits enfants pourront s'approprier.

Faire disparaître un symptôme, le décapiter comme on dit, ne signifie rien et surtout pas la guérison, car les mêmes causes reproduisent toujours les mêmes effets.

Alors qui est-il cet homme ou cette femme qu'à un moment de sa vie, nous soignants, allons rencontrer?

Est-il porteur du dysfonctionnement de la famille, du quartier, de la maison de retraite, de la résidence ? Dérange-t-il à ce point par son incohérence ? Bref que dit-il ? Que nous dit-il ?

Devenu un jour "enfant de ses enfants" qu'en est-il de sa reconnaissance sociale ?

Devenu "objet" peut-il encore être écouté sinon entendu ? Transmettre à ses petits enfants les valeurs qui ont été les siennes, celles de son temps, les traditions de son pays, un savoir oral entendu d'une génération à l'autre afin de perpétuer l'histoire de sa famille, sa mémoire. ?

Car même s'il s'avère nécessaire d'évaluer une situation psychologique et contextuelle, de poser un diagnostic, la lecture symptomatique doit intégrer sens et contexte.

Le soignant dans un quotidien "pensé" doit permettre des soins authentiques. A travers son accompagnement, son écoute, ses réponses, faire d'un "objet diagnostiqué", un "sujet" digne d'intérêt et de soins, lui redonner une image de lui-même acceptable, en commençant par l'accepter nous même, valoriser ses rapports à autrui, lui apporter aide, attention respect.

Soigner au quotidien, comprendre pour aider, réveiller son goût pour la vie, stimuler ses ressources, entendre ses désirs, les repérer, ne pas répéter encore et encore les mêmes situations ou du moins en prendre conscience les exprimer et y répondre c'est au travers, le journalier, le banal, le bénin, nous identifier comme soignant dans un quotidien thérapeutique

Humaniser les lieux d'accueil, c'est certes les "penser' mais plus encore, c'est y mettre de L'HUMAIN qui plus que n'importe quels repères, (signalisation et flèches etc.)... apportera le geste, la parole, le sourire, qui desangoisse qui raccrochera à la réalité si menue soft-elle. C'est plus encore, tenter dans la mesure -du possible, le maintien à son domicile dans ses repères, là où elle garde le mieux ce qui lui reste de sa vie, et donc son autonomie, là où elle est intégrée, identifiée et bien entendu entourée.

Eviter autant que possible un isolement soudain, dans un monde fermé, "mouroirs" de lère ou 3ème classe, avec face à LUI ou à ELLE d'autre "LUI" d'autres "ELLES" les autres VIEUX...

"Et s'ils sortent encore bras dessus bras dessous tout habillé de raide, c'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux l'enterrement d'une plus laide "(3)

Lui garder une place sociale c'est avant tout lui garder une place dans la famille, et quelle personne âgée après une épreuve, n'a pas retrouvé un sourire, même tremblant, devant le dernier-né!

Pourtant s'il est, on le voit important, d'apporter notre savoir-faire auprès des personnes âgées, pourquoi alors ce domaine est-il tant délaissé par NOUS justement ?

Faute de réflexion sur notre pratique, de temps pour en parler, les soignants sont mis là devant une image insupportable et nous place devant notre propre vieillissement, notre propre décrépitude, notre propre mort...

En effet, la mort fait partie de l'avenir de l'Homme c'est à dire de chacun d'entre nous et la personne âgée est, elle, simplement un peu plus près, dans l'absolu, de cette issue irrémédiable.

Elle devient alors pour nous d'autant plus intolérable que nous même nous en approchons.

Et si à cet état de vieillesse, s'ajoute la souffrance physique, la "décrépitude", que sortant de l'image d'épinai de la "vieillesse noble", du "vieux sage", "du patriarche", nous y substituons celle, plus réelle, du radotage, des corps décharnés, cassés, recroquevillés alors la mort ne serait-elle pas libératrice; libératrice, pour la personne vieillie, "mourir n'est rien mais vieillir Oh vieillir... "(4), ou pour la famille ? , pour la société?

Au nom du soulagement à apporter qui décidera de cette libération ? Et cette libération sera pour qui ?.La famille, la société, le soignant... ????? Ne plus s'identifier à la vieillesse, refuser de la voir, c'est déjà commencer à l'éliminer.

Est introduit ici un passage du "Meilleur des Mondes"(5)

'L'hôpital pour Mourants était une tour de soixante étages en carreaux céramiques de teinte primevère. Comme 'IL" descendait de son taxicoptère, un convoi de corbillard aériens au couleurs gaies s'éleva, en vrombissant, du toit, et fila par dessus le Parc vers l'ouest, à destination du Crématorium .... Il descendit à la salle 81, une salle pour Sénilité Galopante, expliqua le portier, au dix septième étage. C'était une vaste pièce, claire sous le soleil et la peinture jaune, et contenant vingt lits, tous occupés, Linda mourait en compagnie - en compagnie, et avec tout le confort moderne. L'air était constamment vivifié par des mélodies synthétiques gaies. Au pied de chaque lit, en face de son occupant moribond, il y avait une botte à télévision. On laissait fonctionner la télévision, tel un robinet ouvert, du matin jusqu'au soir. Tous les quarts d'heure, le parfum dominant de la salle était changé automatiquement

-Nous essayons, expliqua l'infirmière, qui avait pris en main Jonh dès la porte, nous essayons de créer ici une atmosphère complètement agréable -quelque chose d'intermédiaire entre un hôtel de premier ordre et un palace de Cinéma Sentant, si vous saisissez ce que je veux dire. - Y a t-il quelque espoir ? demanda-t-il. - Vous voulez dire : qu’elle ne meure pas ? (Jonh fit un signe de tête affirmatif -Non, bien sûr qu'il n'y en a aucun. Quand on envoie quelqu'un ici, il n'y a en a pas !.... -Prise de saisissement à l'expression de détresse du visage blême de Jonh, elle s'arrêta court. -Quoi, qu’y a-t-il donc demanda-t-elle. -ELLE n'était pas habituée à des manifestations de ce genre des visiteurs (ce n'est pas, au surplus qu’il y eût beaucoup de visiteurs ; ni aucune raison qu'il y en eût beaucoup) -Vous ne vous sentez pas malade, dites ?

Il secoua la tête. C'est ma mère, dit-il d'une voix à peine perceptible. Menez-moi vers elle dit Jonh

Linda était étendue dans le dernier lit de la seconde rangée, contre le mur. Calée par les oreillers elle regardait les demi-finales du Championnat Sud Américain de Tennis, sur surface de Riematin qui se déroutaient en reproduction silencieuse et réduite sur l'écran de la botte à la télévision au pied du lit. Les petites silhouettes se précipitaient çà et là sur leur carré de verre illuminé, tels des poissons dans un aquarium, habitants silencieux mais agités d'un autre monde

Des enfants venaient en groupe visiter les mourants ... "Linda leur causa de la surprise, et quelque inquiétude. Il y eut un groupe qui resta rassemblé au pied de son lit, la dévisageant avec la curiosité apeurée et stupide des animaux qui se trouvent soudain face à face avec l'inconnu -Oh ! regardez, regardez ! -ils parlaient à voix basse, effarée –Qu’est ce quelle a donc ? Pourquoi qu’elle est grosse comme çà ?

Ils n'avaien jamais vu de visage pareil à celui de Linda, ils n'avaient jamais vu de visage qui ne fût pas jeune et n'eût pas la peau tendue, de corps qui eût cessé d'être mince et droit. Toutes ces sexagénaires moribondes avaient l'aspect de jeunes filles presque enfants. A quarante quatre ans, Linda paraissait être, par contraste, un monstre de sénilité flasque et distordue."

La peur de la vieillesse c'est d'abord la peur de la souffrance physique. Mais au delà de cette souffrance physique qui souvent nous crève les yeux, que fait-on de l'autre, celle que l'on voit moins: la souffrance psychique, En particulier que nous renvoie-t-elle lorsqu'il s'agit d'une personne âgée ? D'ailleurs cette personne âgée A-T-ELLE ENCORE UN PSYCHISME ? Et surtout, nous soignants, le prend-on toujours en compte comme il le mérite?.

Ne nous attachons-nous pas davantage aux soins physiques, ignorant volontairement ou involontairement que l'autre aussi existe

Y AURAIT-IL UNE HIERARCHIE DES SOUFFRANCES ? Souffrance physique, souffrance psychique ???? SONT-ELLES si différentes ?

Cette souffrance de l'âme chez la personne, dite âgée, n'est elle pas la même que chez un adolescent en mai de vivre, ou un enfant en recherche de vie?

Y aurait-il un âge qui nous rendrait imperméable à cette souffrance là?

Il n'y pas d'age pour être heureux, il n'y en a pas non plus pour souffrir, et si effectivement nous soignants, pour comprendre, avons besoin de repères théoriques, de connaissances ; faut-il pour cela enfermer un individu dans son âge - géronto, ado etc..- comme si cet age à lui seul était une pathologie

Quelle différence entre une personne âgée pour qui l'on devra tout mettre en œuvre afin qu'elle garde ses acquis et un jeune enfant psychotique qui lui devra les acquérir ? si peu.....

Mais comment rêver, faire des projets d'avenir quand d'emblée on parle de "sujet en fin de vie" ? Qu'au milieu d'images de TOP MODELS à l'éternelle . jeunesse (sur pellicule), d'idéologie prônant l'efficacité à tout prix, nous sommes confrontés, nous soignants, tous les jours, à la décrépitude, avec, à terme, pour seule issue: la mort.

Et quelle différence, là, avec un SIDA en phase terminale ??? La vieillesse ne serait-elle donc pas la seule a connaître cette exclusion ?

Face à la souffrance, pourtant, nous soignants, sommes en état d'urgence -Plein de notre mission, de notre éthique, notre sang d'infirmier ne fait qu'un tour mais souvent à quel prix !.

Car à première vue, la solution semble évidente et facile: agir vite sur le symptôme, l'isoler, de l'ensemble de l'être, le traiter, et l'éliminer, le "décapiter' comme on dit.

On "calme" un état visible, dérangeant, voire bruyant. On veut soulager vite alors on agit vite... dans une toute puissance infirmière dont la mission est d'apporter soulagement et faire reculer la mort

Cependant, la souffrance, un moment anesthésiée, est toujours présente. On s'en étonne: "pourquoi pleure-t-elle? elle a pourtant eu son traitement. Pourquoi crie-t-elle ? Elle a pourtant eu son calmant..... Et de passer en revue, toute la batterie pharmaceutique du VIDAL, sans grand résultat, tout au moins durable...

Alors n'aurait-on pas oublié quelque chose?

Psychisme vivant, actif, intemporel, non réceptif au temps qui passe (ne parle-t-on pas de l'éternelle jeunesse d'âme et celle des sentiments !), psychisme ayant vécu, riche d'un passé, d'une histoire sur lesquels nous nous appuyons et avec lesquels il nous faut vivre aussi

Mais l'infirmier manque de temps (fin de vie) manque d'espoir (la mort est au bout du chemin) un jour il se sent démuni, impuissant avec, au bout, l'abandon du soin relationnel (à quoi ça sert ?), et peu à peu l'abandon de son idéal soignant.

Et ce soignant ; isolé, confronté à la maladie du sujet âgé (ce qui, implicitement, sous entend la mort et explicitement, la souffrance), chaque jour confronté à sa propre souffrance physique à venir (.comme dit Corneille : j'ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis... ), a sa culpabilité, (je suis soignant je dois soulager, rendre la santé... ), utilisera alors toute la panoplie d'actes infirmiers, pour trouver des réponses à sa propre angoisse, choisissant ceux qui rassureront le plus, les plus revalorisants : actes techniques, protocoles de soins répertories, recettes homologuées, dans le vent, faisant ainsi de la personne soignée un " OBJET à soigner " sans HIER, sans AUJOURD'HUI, sans DEMAIN, peu importe, il sera techniquement pris en charge, mais qu'en sera-t-il alors de l'individu, celui du passé, de l'enfant qu'il a été, de l'adulte qu'il fut, de celui qu'il était encore hier.

Qui en parlera sinon LUI, qui l'écoutera, redonnera un sens a ses paroles tremblantes et décousues, sinon NOUS...

Mais l'humain ne peut encore se dédoubler. Et une telle approche demande patience et temps, et le temps c'est bien connu coûte de l'argent.

Alors quel défi relèverons-nous ? Quel défi relèveront les futures générations ?

Que seront nos réponses ? Quelle seront celles de nos enfants pour nous ?

Celles, qui au nom de l'efficacité, segmentera individus, savoirs, pratiques, coupant ainsi le "sujet" de son histoire en faisant, un "objet" en attente ?

Celles des structures étudiées pour ... où patiemment, ou impatiemment on attend où NOUS attendrons ?

Celle de la classification dans le handicap, évitant ainsi de poser la question de la prise en charge de la souffrance psychique, après "un certain âge"..:

Sa confusion .... ? -.c'est le cerveau qui est dérangé Déprimé ? - Oh peut-être un peu ! - Quoi une thérapie à cet âge .!.- Mais pourquoi ? - Et surtout pourquoi faire?

Et d'écouter ".une dernière fois la pendule d'argent qui ronronne au salon qui dit oui qui dit non qui leur dit je t'attends. Qui ronronne au salon qui dit oui qui dit non et puis qui .... nous attend


Françoise POZZAN Cadre infirmier au Centre Hospitalier du Rouvray à SOTTEVILLE LES ROUEN
Frama PRZEWOZNY infirmière au Centre Hospitalier de LIBOURNE

(2) Louise de VILMORIN peu avant sa mort
(3) LES VIEUX' de Jacques BREL
(4) Jacques BREL
(5) Aldous HUXLEY

 

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