Assises nationales des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
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BORDEAUX le 13/02/1993
Précisons les requisits de formation
Bordeaux, 1993:Que se passe-t-il en Europe?

Que se passe-t-il en Europe?
Maurice BENZAKIN (Coordination infirmière : Centre Hospitalier de THUIR)

1993 est là, les pays européens se sont mutuellement ouverts leurs frontières.

La France a attendu l'automne 1991 pour se réveiller et, prétextant "L'EUROPE", a aboli dans la plus grande précipitation les filières de soins généraux et psychiatriques. N'avait-on pas entendu parler d'un diplôme européen ? Mais non, la France n'a créé qu'un diplôme unique réunissant les soins généraux et psychiatriques en respectant les recommandations européennes, les deux formations précédentes étaient déjà conformes. Qui a compris parmi les professionnels où était le progrès réalisé ?

Aujourd'hui, lorsque l'on fait le "tour" des services de soins en psychiatrie, on constate une grande inquiétude des infirmiers.

"Quel avenir nous réserve-t-on dans cette Europe ?".

Je propose, afin de structurer et alimenter le débat, de poser les questions que l'on entend le plus souvent : - Cette Europe dont on parle tant, où en est-elle - Comment sont appliquées les recommandations de la C.E.E. ? - "L'Europe" émet de grandes idées mais qu'en est-il de l'état de la psychiatrie dans les pays de la communauté ? - Y-a-t-il des maux communs ? Les problèmes liés à l'Europe ont été largement débattus ; les multiples commissions du Conseil de l'Europe et Ministère de la Santé, les colloques, les enquêtes réalisées par les associations et les magazines professionnels.

Au-delà des évaluations chiffrées et des tableaux qui illustrent ces différents comptes-rendus, quels sont les éléments qui permettent de répondre à nos inquiétudes ?

I - CETTE EUROPE DONT ON PARLE TANT, OU EN EST-ELLE ?

A - La législation européenne

En 1984, publication d'un rapport du comité des experts sur l'harmonisation des infirmiers psychiatriques, qui décrit la situation à travers les programmes de formation qui mènent à un diplôme permettant à leurs titulaires d'exercer les soins infirmiers psychiatriques et la faisabilité d'une reconnaissance mutuelle de ces diplômes par les états membres, afin de permettre la libre circulation des infirmiers qui exercent cette spécialité. Ce rapport ne prend alors pas en compte le PORTUGAL et l'ESPAGNE, qui n'étaient pas dans la C.E.E. Le rapport a distingué 3 groupes de pays ler groupe : pays où il existe une définition spécifique et protégée par lé diplôme d'infirmier psychiatrique : le LUXEMBOURG 2ème groupe : les pays où les deux titres coexistent, BELGIQUE, FRANCE, IRLANDE, PAYS-BAS, ROYAUME UNI 3ème groupe : pays où il n'existe pas d'infirmiers psychiatriques spécialistes.

En 1986, le comité consultatif formule une recommandation :

1 - Prévoyant l'élaboration rapide d'une directive permettant la libre circulation et la reconnaissance mutuelle des diplômes d'I.S.P.

2 - Ces diplômes doivent comprendre :

· soit une formation spécifique de base en soins

· soit une formation spécifique complémentaire à un diplôme en soins généraux

3 - La durée de la formation de base doit être au minimum de 3 années ou 4600 Heures, la formation complémentaire de 12 mois ou 1500 heures.

Les conditions d'accès à la formation de base devront être au moins de 10 Années de formation scolaire générale, sanctionnée par un titre ou un diplôme.

"L'EUROPE" s'est donc penchée sur l'organisation des formations des infirmiers psychiatriques. La C.E.E. a évolué très vite dans le domaine économique, mais nous attendons toujours la publication de la directive décidée en 1986.

B - Comment s'applique les recommandations de la C.E.E. dans les pays membres de la communauté ?

LA FORMATION DE BASE EN SOINS PSYCHIATRIQUES EST DONNEE en Belgique, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume Uni. En France, la dernière promotion d'élèves infirmiers de secteur psychiatrique effectue sa deuxième année de formation. Le diplôme est en voie d'extinction, remplacé depuis 1992 par une filière de formation commune aux soins généraux et psychiatriques. ETUDIANTS OU APPRENTIS EMPLOYES : En Belgique et au Luxembourg, les élèves ont un statut d'étudiant ; en France depuis la rentrée 1992. STATUT D'EMPLOYE : En Irlande et au Royaume Uni, les élèves ont un statut d'employé, ce sera le cas en France jusqu'en 1994.

La formation théorique selon les états varie de 1040 à 1650 heures ; la clinique 2200 à 3960 heures. En France, depuis 1992 : 2240 h de théorie et 2275 h de clinique.

Dans tous ces pays, l'infirmière psychiatrique de formation de base reçoit de bonnes notions en soins généraux, et plus particulièrement en France. Partout, elle est reconnue comme une saignante à part entière. Cependant, le Conseil de l'Europe recommande, si ce n'est des décisions, les états décident ou non d'appliquer ces recommandations. Ainsi, en Italie, il n'y a pas de formation spécifique, il n'existe que quelques formations universitaires disparates que les infirmiers se paient. Se côtoient ainsi des infirmières dont la formation varie de 1 à 4 ans. De même, en Grèce, la formation en psychiatrie n'existe pas. En Espagne, comme en France, il existait des spécialisations en psychiatrie. Cette formation n'est plus assurée. De même, en Irlande, la formation n'existe pas dans les faits.

II - L'EUROPE, UNE GRANDE IDEE PORTEUSE D'ESPOIR ?

L'idée maîtresse qui émerge lorsque l'on parle de la prise en compte de la Santé des hommes est la suivante : Appréhender l'être humain dans sa globalité, dans ses trois dimensions, biologique, psychologique, sociale. L'infirmier psychiatrique évolue professionnellement sur ces trois registres.

A - Qu'en est-il dans les pays de la C.E.E. ?

Royaume Uni: - Création de réseaux de soins et de secteurs de 250 000 habitants. - Les hôpitaux de jour participent aux urgences et peuvent ou non être rattachés aux hôpitaux généraux. - Création de quelques centres de santé primaires. - Les soins communautaires dépendent des psychiatres attachés à un service hospitalier général ou de clinique privée. - L'enveloppe globale, dont la croissance est inférieure de moitié à l'inflation, positionne la psychiatrie en réservoir de moyens avec redéploiement des ressources et des personnels vers le système général. - Encouragement des pouvoirs publics au développement d'un secteur libéral et mise en place de travailleurs sociaux de statut privé.

Italie: La loi 180 du 13 mai 1976, proposant la fermeture progressive des hôpitaux et la création d'unités sanitaires locales par groupe de 40 à 200 000 habitants, a prouvé le danger de telles mesures. Si la fermeture est effectivement intervenue, les structures sanitaires locales n'ont pas compensé le vide ainsi créé. L'ouverture de services psychiatriques dans les hôpitaux généraux se heurte au sous-équipement et au surpeuplement, ainsi qu'à la réticence des médecins.

Irlande: Il existe quelques centres de santé primaire.

Grèce : Quelques centres de santé primaire, 8 hôpitaux psychiatriques de 400 à 2700 lits c'est le seul pays où il n'existe pas de structures alternatives.

Portugal:Création de centres de santé mentale accompagnés d'une carence considérable des moyens en zone rurale. Création de quelques centres en santé primaire. La psychiatrie représente 3 à 3,5 % du budget total de la santé (10 fois moins qu'en France), ce qui favorise le maintien des concentrations asilaires.

R.F.A.:Création de secteurs de 250 000 habitants et de petites unités hospitalières de proximité. Le système de financement distingue nettement le sanitaire et le social, d'où un faible développement de l'extra-hospitalier qui n'est pas considéré comme faisant partie des soins.

Autriche: Diminution importante de la D.M.S. (1), grâce à une politique de création de structures alternatives et de petites unités d'hospitalisation dans les hôpitaux généraux.

Les frontières s'estompent, la libre circulation des malades a déjà commencé grâce au formulaire Elll. Mais les patients bénéficieront-ils des ' mêmes prestations selon qu'ils seront soignés en France, Italie ou bien en Grèce ? L'homme, en fonction des moyens accordés à la santé mentale, sera ou ne sera pas abordé dans toutes ses dimensions.

Pour une même pathologie, quelle sera le D.M.S. ? Elle pourra aller de quelques jours à une vie. "Dans cette Europe, choisissez du lieu où vous serez fou ! Choisissez bien i..."

B - Ouels sont les maux communs ?

La crise économique : Elle est mondiale mais plus particulièrement ressentie dans les pays les moins développés. Les pays les plus avancés en matière de santé mentale ont pu conserver ou redéployer les moyens de l'existant vers des structures alternatives diminuant ainsi la D.M.S. dont les coûts financiers liés à l'hospitalisation. Cela n'est pas le cas dans les pays pauvres tels que le Portugal ou la Grèce où peu de structures existent et des moyens déjà cruellement insuffisants. Ils n'ont rien à redéployer. En période de crise économique, la santé mentale devient, en raison même de l'image négative qu'elle a dans l'opinion publique, la victime désignée. Les budgets se voient bloqués, amputés au bénéfice des pathologies les plus médiatiques. L'augmentation de l'espérance de vie Le progrès de la médecine somatique a bénéficié de manière inégale aux pays riches et pauvres, mais les malades mentaux en ont tout de même bénéficié. Il suffit de visiter les maisons de retraite en France, sont elles également destinées à accueillir des malades mentaux ou bien deviennent-elles également des structures alternatives à l'hospitalisation, il n'est pas rare d'y rencontrer des patients d'une cinquantaine d'années. Les modèles en santé mentale qui ont prévalu après la guerre "psychanalytiques, institutionnels" se voient progressivement abandonnés, parallèlement à une transformation des formations en santé mentale, psychiatres et infirmiers.

Le mode de pensée s'oriente dangereusement vers une psychiatrie neurologique avant même que la psychiatrie institutionnelle qui prévalait soit appliquée dans l'ensemble des pays de la C.E.E.

La psychothérapie institutionnelle est-elle l'étape obligée d'une politique en santé mentale ? Les carences graves dans le domaine de la recherche en psychiatrie :

Alors que les disciplines somatiques bénéficient d'une infrastructure importante dans les pays riches et notamment en France, la situation psychiatrique est, dans le domaine de la recherche, des plus modestes. L'INSERM, le CNRS, etc... ne retiennent que rarement les projets présentés par les psychiatres. En France, les pathologies psychiatriques représentent la troisième cause d'hospitalisation, soit 1/3 du budget de la Sécurité Sociale.

"L'importance de la recherche est le reflet de l'intérêt que la société porte à la psychiatrie". La recherche clinique n'étudie pas un organe, en psychiatrie, mais s'intéresse à une mise en perspective d'un être humain dans ses trois dimensions inséparables. En France, de 1981 à 1985, 5 chercheurs ont été recrutés sur 200.

Il n'est pas prévu de formation d'un personnel infirmier qui doit jouer le rôle indispensable d'assistant de recherche clinique au contact du malade. D'autres modèles existent:

- au Royaume Uni, des lits spécifiques sont attribués au domaine de la recherche et leurs chercheurs ne sont pas les thérapeutes du patient.
- de même, à l'hôpital universitaire de Copenhague, des lits de recherche clinique sont financés pour 1/3 par l'université, 1/3 par l'hôpital, 1/3 par le conseil de recherche. La pénurie dans le recrutement des infirmiers Les mouvements infirmiers n'ont pas lieu qu'en France, les revendications européennes sont les mêmes, bas salaires, mauvaises conditions de travail, manque d'effectif et de reconnaissance.

Toutes ces raisons contribuent à éloigner les jeunes ou à l'abandon après très peu d'années. Ainsi, ce qui rapproche le plus les Européens, ce sont les difficultés communes.

La législation européenne en matière de santé mentale a donc produit quelques textes adaptés à la mode de chaque pays ou pas adaptés du tout. Ce sont des recommandations et non des décisions. Aucune politique de PLAN accompagnée de moyens n'est entreprise. L'ESPOIR n'est encore que dans "l'idée européenne". La tâche est immense en matière de santé mentale. L'évolution de la psychiatrie européenne est plus qu'incertaine. Aussi, en France, selon l'INSERM, ces dix dernières années, le taux de mortalité chez les malades mentaux est passé de 11 à 22 %. Où est le progrès ? Si on se réfère au discours d'Edmond HERVE devant les députés européens à Stockholm, en 1985 : "Les moyens pour la psychiatrie n'augmenteront plus, il faudra s'habituer à côtoyer les malades mentaux dans la rue. Comme au Moyen Age avant l'époque du grand enfermement". Il a dit dans la rue et pas dans les structures alternatives.

Comme la prise en compte de l'homme, la politique sociale de l'Europe ne peut être que globale. En France, la réforme de la formation, avec une diminution du programme de psychiatrie et des modules facultatifs, entraînera l'engloutissement du savoir-faire et des acquis des pratiques institutionnelles. Seule une formation en psychiatrie complémentaire du D.E. pourrait sauver la connaissance en soins infirmiers psychiatriques. Ce sont les hommes et les idées qui ont prévalu après guerre qui ont fait la psychiatrie française qui demeure un modèle de politique en santé mentale. Sans eux, les structures ne seront que des lieux "déserts".

Quand les infirmiers psychiatriques s'exprimeront ensemble pour la défense de leur profession, et cela me parait inéluctable, on est condamné à cela, elles s'exprimeront pour la défense de la psychiatrie et sans doute pas seuls.

(1) Durée Moyenne du Soin

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