Assises nationales des infirmiers en psychiatrie et en santé mentale
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BORDEAUX le 13/02/1993
Précisons les requisits de formation
Bordeaux, 1993: Pourquoi des requisits de formation des infirmiers en psychiatrie et en sante mentale ?

FRANCOIS IMIELLA

La formation initiale actuelle (dans le cadre de la Réforme des études d'infirmiers, de mars 1992) pose largement la psychiatrie comme un apport optionnel. Des exigences (réquisits) demeurent donc quant à la compétence requise pour travailler auprès de personnes nécessitant des soins relevant de la santé mentale.

La construction de ces exigences oblige à poser trois séries de questions, qui se déterminent réciproquement : - la première : de quoi doit être faite une formation qui s'adresse à des infirmiers ou des futurs infirmiers en psychiatrie et en santé mentale ?

On comprend que la réponse à cette première question ne peut être apportée que sur la base de savoir ce qui constitue le travail infirmier. D'où : - la deuxième question : quelles doivent être les compétences d'un infirmier qui se propose d'être un soignant en psychiatrie et en santé mentale ?

Tout le monde sait que des compétences professionnelles ne peuvent être déterminées concrètement sans une connaissance de leur champ d'application et de la nature de l'objet à propos duquel elles s'exercent. Cela rend incontournable l'étude du fait psychiatrique dans toutes ses dimensions. D'où : - la troisième question : qu'est-ce que la maladie mentale ? Et qu'est-ce que la santé mentale ? Ces deux interrogations sont conjointes, en effet, car il s'agit, dans la perspective des soins psychiatriques, de travailler à lier le symptôme dans l'ensemble de l'être pour qu'il disparaisse, alors que, dans les soins généraux, il s'agit davantage d'isoler le symptôme de l'ensemble de l'être pour le traiter et l'éradiquer.

I/ RAPPEL CONCERNANT LA SANTE ET LA MALADIE MENTALE.

Ce qui caractérise le champ de la psychopathologie et des soins psychiatriques, c'est qu'il s'agit de traiter la pensée malade. Parler d'une pensée malade, c'est dire qu'il existe chez quelqu'un un dysfonctionnement dans l'élaboration du rapport aux êtres et au monde. Cette pensée malade peut se manifester :

- soit par une incapacité à symboliser les actes de la vie,

- soit par une défaillance du caractère de symbolisation dans le travail de la pensée.

Le malade mental refuse de se penser, refuse l'altérité.

Cette difficulté, voire impossibilité, de symbolisation du réel ré-interroge la question de la perte de l'objet et traduit bien un conflit psychique qui se manifeste dans le symptôme et au travers du symptôme.

On a affaire, ici, à une difficulté de la communication, non seulement de la communication avec le monde extérieur, mais aussi de la communication interne, avec soi-même. Si la capacité d'aimer suppose, pour tout le monde, d'avoir rencontré la souffrance, qu'en est-il plus précisément de la souffrance mentale des patients ? Sans doute, cette difficulté à établir des "liens psychiques", qui sont au nombre de trois (selon Wilfried BION) : des liens d'amour, des liens de haine et des liens de connaissance.

Ce qui apparaît alors, c'est que le dépassement de ces impasses relationnelles ne peut être réalisé que par la constitution d'un autre objet, un objet symbolique, qui est en quelque sorte TIERS entre soi-même et l'autre. Voilà qui ouvre sur la dimension du travail infirmier en psychiatrie.

Il/ COMPETENCES DU SOIGNANT INFIRMIER EN PSYCHIATRIE ET EN SANTE MENTALE.

Là encore, il ne s'agit que de retracer des points de repères pouvant servir d'ancrage à des réquisits de formation.

Brièvement donc, on peut dire que l'infirmier, en tant que soignant, doit être capable de deux séries de choses : - capable d'identifier des problèmes de soins. - capable de réaliser une intervention de soins.

Qu'est-ce que cela veut dire, un peu plus précisément ? Qu'est-ce que cela implique ?

A propos du 1er point : Identifier des problèmes de soins. Il faut dire tout de suite que ce que l'infirmier voit tout d'abord, chez la personne malade, ce ne sont pas des symptômes, ce sont des phénomènes, des drôles de phénomènes. Les troubles et affections des patients sont des phénomènes qui deviennent des symptômes grâce à une manière de lire, de les interpréter. Ce qui parait important alors, c'est que ces troubles et affections du corps deviennent symptômes dans la mesure où l'infirmier ne les considère pas isolement, mais dans leur polysémie possible, en rapport avec les différentes dimensions de l'être, le somatique et le psychique.

D'où le retentissement sur l'identification des problèmes de soins et les connaissances nécessaires à cette identification.

A propos du 2ème point : Réaliser une intervention de soins. On peut dire qu'une telle réalisation implique deux éléments.

D'une part, l'appréhension de la personne soignée dans sa singularité.

En d'autres termes, le soin est centré sur les aspects émotionnels, intellectuels et sociaux de la personnalité du malade. Le rôle thérapeutique ne s'arrête plus alors au traitement médicamenteux, mais se diversifie avec la prise en charge du patient au sein de la communauté sociale, avec la prise en charge thérapeutique de familles et l'intervention dans la collectivité et ses dimensions culturelles.

D'autre part, le travail sur la relation de soins (soignant/soigné, en situation). Ce qui signifie que les modalités de travail en groupe, puisqu'on ne soigne pas seul, font partie intégrale de la pratique des soins. Cela signifie aussi de considérer les différentes techniques de soins et leur mise en place strictement dans leur rapport aux problématiques relationnelles qu'elles sont censées contribuer à résoudre ; aussi bien en direction des soignés (modalités d'encadrement de la vie quotidienne, ateliers thérapeutiques... ) qu'en direction des soignants (réunions cliniques de supervision, de régulation, de synthèse... ) et de l'organisation des relations de vie et de travail (réunions soignants/soignés, dossier de soins, organisation du travail en équipe... ).

C'est tout ce processus qui produit un acte-soignant. Or, un acte soignant, qu'est-ce que c'est ?

Nous proposons de dire qu'il s'agit d'un acte susceptible d'être repris par le soigné, dans la mesure où il inscrit la relation soignant/soigné dans la perspective de l'angoisse et du transfert, donnant ainsi signification aux multiples situations quotidiennes. Exemples: le repas thérapeutique, telle ou telle situation d'atelier...

III/ CONSEQUENCES SUR LES REQUISITS DE FORMATION.

Il s'agit ici que les quelques réflexions qui vont suivre commencent à préciser les éléments de base d'une Charte de la formation du soignant-infirmier en psychiatrie.

Ces conséquences, donc, sont de deux ordres

  • d'une part, en terme de programme de formation, c'est-à-dire les contenus de formation.
  • d'autre part, en terme de projet de formation, c'est-à-dire les objectifs et modalités pédagogiques.

En terme de programme.

Il y a, bien entendu, les disciplines traditionnelles auxquelles ont été conjointes, depuis déjà quelques années, les sciences humaines. Mais comme il doit s'agir d'une formation professionnelle, la dimension du travail infirmier implique d'y adjoindre l'étude des soins extra-muros aussi bien qu'intra-muros, l'étude de la signification des structures de secteur. En outre, si l'on désire travailler la question de la relation, et donc éviter la technicisation des relations, il faut comprendre que l'on soigne avec ce que l'on sait en même temps qu'avec ce que l'on est ; d'oÙ, la nécessité de formations à dimension personnelle et groupale. La nécessité encore d'une formation à l'observation ; car l'observation ne va pas de soi, ce n'est pas une activité neutre, et les préjugés, au lieu d'être des obstacles, peuvent être des atouts, à condition de n'être pas systématiquement écartés, mais d'être pris en considération et travaillés. D'oÙ la nécessité aussi, non seulement de connaître les techniques de soins, mais encore d'être formé à savoir en faire l'analyse, l'analyse de leur signification, de leur sens.

Ce qui ouvre, déjà, la question de la formation en terme, non plus seulement de programme mais aussi, de projet.

En terme de projet.

Esquissons quelques grandes lignes, qui concernent autant les étudiants-infirmiers que les enseignants-formateurs.

En effet, si nous considérons la pratique des soins comme une véritable pratique sociale - et la dimension symbolique des actes de soins, que nous avons précisée précédemment, abonde en ce sens - alors, il en est de même pour les pratiques de formation. A partir de là, on peut considérer que ces pratiques de formation vont avoir une valeur formative de modèle des pratiques sociales, et vont être spontanément projetées dans les pratiques de soins. D'où, l'importance de dégager des orientations pédagogiques véritablement formatives de la dimension du SUJET. Il s'agirait alors que les diverses institutions de formation s'en emparent, les intègrent dans leur projet et les réalisent.

Nous pensons qu'il y a une différence entre instruction et formation. Dans l'instruction il y a surtout une divulgation des connaissances et leur caractère de légitimité reste essentiellement extérieur au sujet en formation : on apprend plus que l'on ne comprend ; et cette perspective (normative) ne se préoccupe pas de la dimension appropriative de la connaissance, laquelle suppose un changement chez l'apprenant, une modification de son rapport à la connaissance elle-même et au monde.

Quel statut d'autorité la connaissance a-t-elle auprès des étudiants Est-ce une autorité de type normatif, surmoïque, autorité idéalisée et idéalisante, fonctionnant seulement comme un corps abstrait de connaissances constituées qu'il s'agit d'apprendre pour elles-mêmes ? Ou bien, est-ce une autorité concrète, de ce que ces connaissances permettent de comprendre les dimensions de la réalité, et même crient ces dimensions de la réalité, c'est-à-dire permettent d'accentuer, d'agrandir, d'approfondir le lien d'appartenance de l'individu au monde, sa signification d'existence ? Dans cette dernière perspective se trouve posée la question du sens.

Cette question du sens, prise comme finalité de formation, implique un double principe pédagogique :

  • d'une part, un non-émiettement des connaissances.
    Cela veut dire que traiter d'une connaissance PARTICULIERE suppose aussi de la replacer dans un ENSEMBLE, son ensemble relationnel qu'il s'agit de connaître et de comprendre. Exemples : * une visite à domicile ou bien un atelier d'activité n'ont pas de caractère thérapeutique en eux-mêmes ; que les techniques d'entretien ou les règles régissant l'activité soient respectées, et donc qu'elles aient été enseignées et apprises, de même que les règles du respect du patient et de la "bonne distance" relationnelle, tout cela n'est rien s'il n'est pas enseigné que leur dimension thérapeutique réside essentiellement dans le caractère symbolique de ces actions, lequel ne peut exister sans l'insertion de ces activités au sein d'un projet qui les fonde et auquel elles donnent sens en retour au travers d'une reprise en pensée de la part des soignants dans les diverses réunions cliniques. En ce sens, une pédagogie des stages s'impose à la réflexion, par exemple.
  • d'autre part, un non-émiettement des comportements. Il s'agit là de l'importance des relations pédagogiques et de l'organisation du travail qui doivent contribuer à ce que chaque intervention qui a lieu dans un coin du dispositif pédagogique soit doublement significative :

    1/ qu'elle ait signification pour elle-même,' dans sa ponctualité ' ; c'est sa dimension concrète, réalisante et

    2/ qu'elle soit reprise en signification de l'ensemble, à son propre niveau ; c'est sa dimension symbolique, qui fait connaissance.'

Exemple : * travailler le bien-fondé pédagogique et la cohérence pédagogique de telle ou telle pratique d'évaluation, de telle ou telle épreuve évaluative.

Tout cela est à préciser, à réfléchir ensemble, et à ECRIRE...

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